« Si « devenir buddha » intéresse les mystiques bouddhistes au premier chef, «voir l ‘essence » relève de la sagesse personnelle de n'importe quel individu, sinon de la philosophie, et même de la métaphysique universelles ».
L'IEB vous propose de (re)découvrir ce beau texte de Patrick Carré, profond, simple dans l'énoncé, sur des notions fondamentales qui, à n'en pas douter, sont le questionnement quotidien de tout bouddhiste exigeant et soucieux de l'essentiel. Huineng expose notamment une vision roborative des Trois Joyaux. Ainsi que cette quadruple injonction qui ne peut nous laisser indifférents :
« Infinis sont les êtres, mais nous les libérerons tous.
Infinies les passions, mais nous les briserons toutes.
Infinis les enseignements, mais nous les étudierons tous.
Suprême est la voie de l 'Éveil, mais nous la parcourrons jusqu'au bout. »
Ethnologue, Nicolas Sihlé a enseigné de 2002 à 2010 dans le département d’anthropologie de l’University of Virginia (Etats-Unis), avant de rejoindre le CNRS et le Centre d’Etudes Himalayennes. Son travail est centré sur un type de religieux, le tantriste (ngakpa), figure clé du versant non monastique du bouddhisme tibétain. A partir d’un travail ethnographique conduit dans le nord du Népal (Baragaon / Mustang inférieur et Dolpo), il a publié ce livre intitulé Rituels bouddhiques de pouvoir et de violence : La figure du tantriste tibétain. Il s’y penche sur les caractéristiques marquantes de cette forme de spécialisation bouddhique ; à savoir : une orientation très ritualiste (avec une importante composante magique), la pratique de rituels tantriques mobilisant un pouvoir fort, voire une violence rituelle (qui revêt ici une centralité assez paradoxale dans un contexte bouddhique), l’association entre légitimité et pouvoir rituels d’un côté et lignée héréditaire de l’autre, ou encore la relative absence de références au renoncement.
“Dans cet ouvrage, Nicolas Sihlé reprend, tout en les remaniant en profondeur, les travaux résultant de sa thèse de doctorat intitulée : « Les tantristes tibétains (ngakpa), religieux dans le monde, religieux du rituel terrible : étude de Ch’ongkor, communauté villageoise de tantristes du Baragaon (nord du Népal) ». Entre la soutenance de la thèse (2001), et la publication de ce présent livre (2013), un cycle de douze années s’est écoulé, et c’est en réalité à une renaissance que l’on assiste, tant le texte a été repensé, remanié et amplifié. Entre temps, le titre a évolué, pour passer d’une association locale, Ch’ongkor, à une évocation plus universelle du sujet de l’ouvrage : Rituels bouddhiques de pouvoir et de violence : la figure du tantriste tibétain. L’auteur aurait d’ailleurs pu aller plus loin en faisant le choix de l’intituler Vers une anthropologie du bouddhisme tantrique — du nom d’une des sections de l’introduction — tant l’ouvrage propose à son lecteur une introduction didactique au vaste domaine de l’anthropologie du bouddhisme, plus particulièrement sous sa forme tantrique tibétaine, jusqu’alors peu exploré si ce n’est dans des contextes monastiques.
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Les Trésors du Nord sont une branche de l’école Ancienne (Nyingma) du bouddhisme tibétain. Cette école, tout en étant aussi l’héritière de traditions antérieures, a pour noyau principal les révélations (termas, « trésors cachés ») de Rigdzin Gödem ou Ngödrup Gyaltsen (1337-1409 selon la chronologie communément retenue). À l’époque récente, les Trésors du Nord ont surtout été connus par deux maîtres tibétains de l’exil : Taklung Tsetrul Rinpoché, représentant sa branche principale du Tibet Central, liée au monastère de Dorjédrak, et Chimed Rigdzin Rinpoché, maître de sa branche orientale, implantée au monastère de Khordong au pays Golok.
Les « trésors cachés » sont, selon la tradition Nyingma, des objets et des textes sacrés cachés en toutes sortes de points du territoire tibétain notamment par Padmasambhava, maître indien venu au Tibet à l’époque du roi Trisong Detsen (deuxième moitié du VIIIe siècle).
Rigdzin Gödem était considéré comme la réincarnation d’un des disciples de Padmasambhava, Zhang Nanam Dorjé Düdjom ; sa naissance était annoncée par de nombreuses prophéties. Il naquit dans une famille revendiquant une ascendance royale ; ses ancêtres étaient tous, dit-on, des praticiens de Vajrakīla et d'un système de Dzogchen appelé le Cycle du Brahmane. Son père, appelé Lopön Sidüdül, était un pratiquant de Vajrakīla ainsi que sa mère, Jocham Sonam Khyudren. On dit qu’il fut conçu alors que tous deux étaient absorbés par la pratique de cette divinité.
Les hagiographies insistent sur le caractère « courroucé » de Gödem en relation avec Vajrakīla, y compris quant à la description de ses marques corporelles, dont la plus remarquable était quelque chose qui (selon la tradition) ressemblait à des plumes de vautour poussant sur le sommet de sa tête – trois dans sa douzième année, cinq dans sa vingt-quatrième année – d’où le surnom sous lequel il est connu, Rigdzin Gödem, le « détenteur de connaissance au toupet de [plumes] de vautour ».
Il est dit qu'en sa treizième année, il obtint des réalisations grâce à la Roue des activités de la lèpre noire. C’est un tantra lié à Yamāntaka sous la forme Nāgarākṣa. Il reçut les enseignements de divers maîtres encore mal identifiés, outre ceux de son père : Draklungpa Khetsun Rinchenpal, Khepa Nangden Gyalpo, etc. Rigdzin Gödem est dépeint comme s’étant appliqué, depuis son plus jeune âge, à recevoir et pratiquer les traditions tantriques caractéristiques des Nyingmapas. Cela mérite d'être souligné, car d'autres « découvreurs de trésors » sont présentés comme des êtres spontanément éveillés, sans lien avec une lignée humaine ordinaire de transmission spirituelle. Dans le cas de Rigdzin Gödem, quelles qu’aient été ses qualités spontanées, il a reçu instructions et initiations de maîtres humains.
C'est à partir de sa vingt-cinquième année que commence sa vie de découvreur de trésors (tertön).
Il trouva d'abord des lieux insolites et des objets magiques, et non, à l'origine, des textes. Puis, dit-on, toutes sortes de présages se produisirent, correspondant à des prophéties, annonçant que les temps étaient mûrs pour qu’un terma soit découvert à Zangzang Lhadrak. Alors, diverses indications nécessaires à la découverte du trésor ayant été trouvées par un certain Zangpo Drakpa de Manglam, ce maître s’arrangea pour que ces cartes et clés du trésor sacré parviennent, au début de 1365, à Rigdzin Gödem, prédestiné à les découvrir.
Une caractéristique très particulière, mais pas absolument unique, des « Trésors du Nord » est leur lien constant avec les pouvoirs politiques.
Il avait été prophétisé qu'il serait de bon augure que Tashidé, le roi de Gungthang (règne : 1352-1365), fournisse les substituts aux trésors à extraire (en effet, selon les croyances tibétaines, il convient de remplacer les substances puissantes que l’on extrait du sol par des choses tout aussi précieuses). Malheureusement – en raison de la faiblesse des mérites, disent les textes – ce roi dont la prophétie voulait que la rencontre avec Rigdzin Gödem et ses révélations fût particulièrement propice mourut en 1365, avant que le trésor puisse être extrait du lieu où il était caché, et il est dit qu’il ne fut possible d’établir qu’un lien médiocre avec son fils Phüntsokdé (lequel, pour cette raison, allait mourir dans sa trente-troisième année, en 1370).
Alors que le moment précis de l'ouverture du lieu où reposait le terma était proche, Rigdzin Gödem dut se rendre à Sakya, où Phüntsokdé se trouvait alors, et le persuader d'accorder les substances précieuses – or, etc. – qui devaient être substituées aux « trésors cachés » au moment de leur extraction.
Stéphane Arguillère
Note : la 2ème partie sera publiée dans la newsletter de juin 2022.
Marchands, dynastie Tang, grottes des milles Bouddhas des grottes de Bezeklik, Chine.
Pour l'école Huayan, les dharma sont vides, sous le double aspect du li, noumène ou principe ultime statique, et du shi, phénomène, ces deux plans s'interpénétrant. Dans le même temps, il est affirmé que tous les phénomènes ne forment qu'un seul et même tout ; chaque phénomène particulier est indéfectiblement identifié aux autres phénomènes. Ceci constitue un système total : chaque point converge vers le buddha qui devient le centre de tout. On conçoit combien un tel point de vue pouvait être détourné de son orientation purement spirituelle au profit d'applications politiques. Ainsi l' impératrice Wu Zetian tirera profit de cette doctrine pour justifier un système totalitaire et très centralisé ; les empereurs du Japon feront de même. Dans ce même esprit, l'em-pereur Shômu (724-748) fit construire le fameux Todaiji, à Nara, où il érigea la gigantesque statue du buddha Mahavairocana.
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