legende de gotama

- Cher Didier, nous vous remercions de répondre à nos questions. Qu'est-ce qui a été pour vous à l'origine de ce projet d'ouvrage consacré à Gotama ?

Comme la plupart de mes recherches, celle-ci a débuté par la confrontation entre les textes les plus anciens et les textes produits bien des siècles plus tard : je constate que le Canon pāli – dont le cœur (mūla) nous fournit les données incontestablement les plus anciennes –, ne dit quasiment rien de Gotama, et que ce silence n’est pas un manque mais un choix du Bouddha : à de multiples reprises il souligne que le Dhamma seul est utile et que les détails concernant sa personne – a fortiori les détails concernant celui qu’il était avant son Éveil – sont sans importance, hormis quelques faits épars pédagogiquement utiles.

S’ensuivent donc trois séries de questions : Quand et pourquoi est né le besoin de combler le vide biographique ancien, et probablement originel ? D’où viennent les éléments ayant servi à combler ce vide ? Quel est le sens et la portée doctrinale des inventions biographiques ?

- Biographie traditionnelle, légende, hagiographie, où situez vous la démarcation entre ces notions et comment sont-elles opératives dans votre réflexion ?

Concernant Gotama mon étude fait apparaître que la biographie traditionnelle même la plus anodine en apparence est tout aussi légendaire que les élans hagiographiques les plus extravagants.

Je considère que cette confusion, dans tous les sens du terme, n’a pas servi le bouddhisme : elle a abouti à une régression (vers l’hindouisme) et surtout au développement de notions inconnues dans la doctrine ancienne.

- Vous avez soulevé d'importantes questions dans votre recherche. Quels documents avez-vous pu utiliser ?

Les outils modernes, en particulier la complète numérisation des textes, permettent de mettre définitivement un terme à la thèse – soutenue avec mauvaise foi ou ignorance – d’une impossibilité de distinguer des strates chronologiques dans la masse des documents à notre disposition ; je donne dans mon livre l’exemple de multiples clés permettant un tel classement.

Cette datation des textes sources est essentielle concernant la « biographie » de Gotama : elle permet de prouver que tel ou tel élément est inconnu au IIIe siècle avant notre ère et n’apparaît qu’au IVe ou au XIIe siècle, voire plus tardivement encore ; et d’en tirer des conclusions.

- « Le lien entre le réel et la fiction doit être tranché ». Comment a fonctionné cet impératif dans votre recherche ?

Il ne s’agit pas là d’un impératif de départ… mais d’une conclusion, née du constat que les fictions biographiques ne semblent rien apporter ni aux bouddhistes ni au bouddhisme.

Pour être parfaitement honnête, ce constat conforte à la fois mon propre tempérament, mon héritage intellectuel (celui de l’école dite « anglo-allemande », des époux Rhys Davids et d’Hermann Oldenberg) et mon appartenance à une tradition, le Theravāda, qui ont en commun de se satisfaire d’un Bouddha – et a fortiori d’un Gotama ! – humain, dont nous pouvons nous sentir proches...