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 Didier Treutenaere nous entraîne dans un passionnant voyage au coeur du Siam, du dix-neuvième au vingtième siècle, à travers l'évocation du grand maître bouddhiste, et en particulier nous fait mesurer les évolutions d'une nation qui a fait du bouddhisme son socle social. Nous vous ferons partager de larges extraits de ce travail de recherche au cours des prochaines newsletters.

L'auteur évoque ici la pratique de la méditation en Thaïlande

La tradition de la méditation est, en Thaïlande, aussi ancienne que le bouddhisme lui-même. À l’époque de Luang Pou Wat Paknam, il existait à la fois de multiples textes relatifs à la méditation rédigés en thaï et des maîtres capables de les expliquer. Toutes les techniques de méditation valables en ce temps présentaient cependant les mêmes inconvénients : elles avaient des résultats limités et quittaient fréquemment la voie de la recherche de la sagesse expérimentée par le Bouddha pour s’égarer dans celle de la recherche de pouvoirs surnaturels.

Des éléments de la technique de méditation Dhammakāya[1], la technique ultérieurement redécouverte par Luang Pou Wat Paknam, étaient bien présents dans certaines formes de méditation pratiquées à cette époque, mais aucune de celles-ci ne permettait à samatha[2]de se développer naturellement en vipassanā[2] sans l’aide d’une conceptualisation.

L’apport de Luang Pou Wat Paknam fut précisément de dédier sa vie à la renaissance de la méditation et, à travers elle, du bouddhisme en Thaïlande.

Tamo tamaparāyano L’obscurité ayant l’obscurité pour destinée
Tamo jotiparāyano L’obscurité ayant la lumière pour destinée
Joti tamaparāyano La lumière ayant l’obscurité pour destinée
Joti jotiparāyano La lumière ayant la lumière pour destinée
Saṅgīti-sutta (S/DĪG III/10/n° 314)

Dans ces vers, le Bouddha identifie quatre voies possibles s’ouvrant aux êtres nés dans notre monde.

Certains êtres naissent de l’obscurité et y replongent. Par « obscurité », il faut entendre les conséquences des actes négatifs de leurs vies passées, conséquences auxquelles ils ne peuvent échapper qu’à l’issue de centaines de milliers de renaissances dans des plans d’existence inférieurs[3]. Lorsqu’ils parviennent à renaître en tant qu’êtres humains, ils gaspillent cette rare opportunité et, faute d’accumuler des actes positifs, ils retournent vers leurs anciens états.

D’autres êtres émergent de l’obscurité pour rejoindre la lumière. Avec cette vie humaine, ils mettent un point final à leurs anciennes actions négatives et, accomplissant uniquement des actions profitables, progressent vers des plans d’existence élevés.

D’autres encore quittent la lumière pour l’obscurité, comme le font par exemple ceux qui gaspillent leur renaissance humaine et n’utilisent leur force et leur intelligence que pour mieux exploiter ceux qui les entourent ; le kamma négatif qu’ils accumulent ainsi les fait renaître dans des plans d’existence inférieurs pour des centaines de milliers de vies.

D’autres enfin, le petit nombre de ceux qui comprennent le fonctionnement du cycle des existences, naissent, meurent et renaissent sans quitter la lumière. À la croisée des chemins représentée par une naissance humaine, ils utilisent le poids des actes profitables qu’ils ont accumulés durant un nombre immense de vies pour se rapprocher du nibbāna et cesser enfin de renaître.

Luang Pou Wat Paknam appartenait à cette catégorie-là, lui dont la vie jamais ne dévia de la recherche de la perfection.

Dès la naissance, personne n’échappe à la question du sens de son existence ; tôt ou tard, chacun s’interroge : « pourquoi suis-je né ? ».

Nombre de personnes répondent avec désinvolture qu’ils sont nés pour gagner confortablement leur vie et prendre soin de leur famille, pour avoir autant d’enfants qu’il sera nécessaire pour consolider l’héritage familial.

D’autres sont nettement moins scrupuleux et peu regardants sur la façon de gagner leur vie. Ils évoluent au milieu de ceux qui évitent de fréquenter les temples. En règle générale, lorsqu’ils pénètrent dans un temple, il est déjà trop tard : c’est qu’ils y sont transportés pour leur crémation.

D’autres encore s’efforcent de réussir à la fois au bénéfice de cette vie et de la suivante. Ils accumulent des richesses pour eux-mêmes et pour leur famille mais en font également bénéficier la communauté des moines. Ils fréquentent les temples, respectent les préceptes bouddhistes de base et pratiquent la méditation enseignée par les moines. Ils entrent dans la vie monastique pour la durée d’une saison des pluies[4], comme une contribution à leur propre progression et comme une façon de montrer de la gratitude envers les parents qui leur ont donné la vie et les ont élevés.

Quelques-uns n’accomplissent des actions profitables que durant une partie de leur existence. Certains durant leur jeunesse, en entrant au temple pour servir les moines et étudier le bouddhisme ; d’autres durant leur âge mur, passant leur enfance et leur vieillesse à dormir, manger et boire ; d’autres encore ne s’éveillent qu’avec la vieillesse et la maladie aux valeurs de la vie et de la religion mais ils n’ont plus grand-chose à apporter à celle-ci ; ils lui demandent son soutien au lieu de lui apporter le leur.

Il existe, en revanche, quelques êtres rares, nés avec la vocation de mettre fin aux « fermentations mentales » [5], qui décident que cette existence-ci sera la dernière. Ils entrent au temple à un âge précoce, écartant la vie de famille, consacrant leur existence à promouvoir le bouddhisme et à progresser dans les pas du Bouddha. Ces moines-là sont ordonnés pour la vie et non pour une courte période. Luang Pou Wat Paknam était l’un de ces êtres.

[1] « Le corps du Dhamma ». Au sens premier, le corpus des enseignements du Bouddha. Au sens profond, la transmutation du corps par le Dhamma, la voie d’accès à la réalité ultime. Méthode de méditation s’appuyant sur la visualisation d’un objet au centre du corps.

[2] Les divers objets et méthodes de méditation exposés dans le Canon du bouddhisme Theravāda se répartissent entre deux systèmes complémentaires. L’un est consacré au développement de la sérénité (samatha), également appelé développement de la concentration (samādhi), l’autre est consacré au développement du discernement (vipassanā), également appelé développement de la sagesse (paññā).

[3] Les textes canoniques reconnaissent l’existence de trente-et-un plans d’existence, dont quatre défavorables. L’existence humaine est, selon les termes du Bouddha, « une rare opportunité ». Aucune de ces existences n’est, ultimement, désirable, l’objectif du bouddhiste étant précisément de ne plus renaître.

[4] La pratique de l’ordination temporaire est une caractéristique du bouddhisme thaï. Avant d’entrer dans la vie active et de fonder une famille, il est bien vu que les jeunes gens fassent l’expérience de la vie monastique ; cette expérience peut être renouvelée à tous les âges. La période adéquate est celle de la saison des pluies, trois mois durant lesquels les moines se retirent dans les temples.

[5] Les āsavā, au nombre de trois ou quatre selon les textes : l’ignorance (avijjā), l’attrait pour l’existence (bhava), les désirs (kāmā) et les opinions erronées (diṭṭṭhṭī).