Le gouvernement indien a indiqué récemment qu’il revisait sa position sur le XVIIe Karmapa, Ogyen Trinley Dorje, réfugié en Inde depuis le tout début de l’année 2000. Un haut fonctionnaire du ministère de l’Intérieur indien a notamment déclaré que les autorités étaient disposées à assouplir les restrictions qui lui avaient été imposées, quant à ses déplacements en Inde, et qu’il n’était définitivement plus soupçonné par les services de renseignement d’être un possible agent à la solde de la Chine. Un changement qui vise sans doute à bénéficier des faveurs de celui qui paraît pouvoir succéder au Dalaï-lama comme figure de référence de la communauté tibétaine et de tous les bouddhistes dits « tibétains »… un outil stratégique de poids face au puissant voisin chinois !

Ogyen Trinley Dorje tibetanreview.netOgyen Trinley Dorje est né en 1985 à Lhatok, dans la région du Kham, à l'est du Tibet, et a reçu sa formation initiale au monastère de Tsurphu, siège traditionnel de la lignée Karmapa. Le 28 décembre 1999, à l'âge de 14 ans, il s'est réfugié en Inde après des mois d’un voyage minutieusement organisé, se déplaçant en voiture, à pied, à cheval, en hélicoptère, en train et en taxi, pour arriver finalement le 5 janvier 2000 à Dharamsala, où il fut accueilli par Sa Sainteté le Dalaï-lama.

Depuis son arrivée sur le sol indien, les mouvements du Karmapa, qui était jusqu'à récemment basé au monastère de Gyuto, dans la ville de Sidhbari à Dharamsala, ont été étroitement surveillés par le gouvernement indien. En 2000, un comité de sécurité de l’État a adopté une ordonnance restreignant la liberté du Karmapa de se rendre dans cartaines régions sensibles du pays, et tout particulièrement au monastère de Rumtek, au Sikkim (province indienne). En 2015, le gouvernement a décidé d’assouplir ces restrictions de déplacement, à l'exception du seul monastère de Rumtek.

Construit par le douzième Karmapa au milieu du XVIIIe siècle, le monastère de Rumtek est le siège de la lignée des Karmapa. Cette lignée est la plus ancienne lignée de tulkou du bouddhisme tibétain, datant du premier Gyalwa Karmapa, Düsum Khyenpa (1110–1193), et donc antérieure de plus de deux siècles à celle des Dalaï-lama. En raison d'un désaccord au sein de l'école Karma Kagyü sur le processus de reconnaissance, l'identité du 17e Karmapa reste aujourd’hui controversée. La majorité des bouddhistes tibétains, à l’instar du Dalaï-lama lui-même, reconnaissent Ogyen Trinley Dorje comme l’émanation du 16e Karmapa Rangjung Rigpe Dorje, tandis qu'une minorité influente reconnaît Trinley Thaye Dorje. Le monastère de Rumtek étant le détenteur de la célèbre « coiffe noire » des Karmapa, qui permettrait d’instituer officellement le 17e Karmapa, celui-ci constitue donc un foyer de tensions au sein de l'école Karma Kagyü.

16e Karmapa Rangjung Rigpe Dorje portant la coiffe noire

Le 16e Karmapa, Rangjung Rigpe Dorje, portant la "coiffe noire"

« L'Inde ne doute pas... [que le Karmapa] est le futur visage du bouddhisme tibétain », a déclaré Amitabh Mathur, conseiller pour les affaires tibétaines au ministère de l’Intérieur. « Nous ne doutons pas de son attachement à la lutte en faveur de la civilisation tibétaine, de sa loyauté envers Sa Sainteté le Dalaï-lama et de son attachement à l’Inde. Si quelqu'un pense que la précédente situation [le suspectant d’être un agent à la solde de la Chine] peut se reproduire, nous essayons de dissiper cette idée. Il n'y a plus aucune restriction en ce qui concerne ses déplacements. Outre le Dalaï-lama, le Karmapa est le seul chef bouddhiste [tibétain] à avoir actuellement rencontré des représentants élus du gouvernement [indien]. »
Avec le Bhoutan et le Népal, l’Inde abrite la plus grande communauté de la diaspora tibétaine vivant en dehors du Tibet, ce qui a constritué une source majeure de friction dans les relations sino-indiennes. Depuis le début du siècle, le bouddhisme est devenu un outil stratégique majeur dans les efforts de « diplomatie douce » des deux géants économiques émergents d’Asie, la Chine et l’Inde. Les gouvernements des deux pays ont largement promu leur « histoire bouddhiste » respective, se positionnant l’un et l’autre comme creuset de la pensée et de la culture bouddhistes afin de renforcer leur prééminence politique grâce à la portée de l’influence culturelle et spirituelle du bouddhisme.
Il est largement admis que le Karmapa, âgé de 33 ans, pourrait éventuellement succéder au Dalaï-lama, maintenant âgé de 83 ans, en tant que principale figure du bouddhisme tibétain et, par extension, des communautés tibétaines du monde entier. Les commentateurs politiques pensent que New Delhi adoucit sa position envers le Karmapa dans l’espoir de bénéficier de son influence ultérieure auprès de la communauté bouddhiste mondiale et de pouvoir ainsi améliorer ses relations avec Pékin.

Source : Buddhistdoor, article de Craig Lewis (12/09/2018)