conference d Brohon

 Damien, vous êtes professeur agrégé d’Arts Plastiques, vous enseignez au lycée l’Histoire des Arts et les Arts Plastiques en région parisienne, et vous allez donner à l'IEB un enseignement le 27 janvier sur L'art de l'Avatamsaka Sutra. Pourriez-vous nous dire pour commencer comment, dans quelles circonstances, vous vous êtes intéressé à l'art bouddhique?

Tout naturellement dans le cadre de la découverte du bouddhisme, il y trente ans environ. C'est en visitant le Musée Guimet à Paris, devant les bouddhas d'Angkor, les thangkas tibétaines ou l'art du zen, que j'ai vraiment perçu cet art comme une expression sensible du Bouddhadharma. Le visage du Bouddha, tel qu’il est figuré au travers de ces différentes traditions artistiques, est un miroir de notre vraie nature. Le contempler c’est plonger le regard dans ce qui est le plus intimement nôtre et ne cesse, pourtant, de nous échapper.

 

Quels rapprochements avez-vous pu faire entre ces différentes expressions artistiques ?

Le point commun c’est, au travers de ces œuvres, contempler, penser, ressentir et imaginer cette « Liberté inconcevable » (pour reprendre une expression de Patrick Carré) qu’est l’éveil. Toutes ces formes d’art ont en commun d’exprimer cela.

 

Dans nos sociétés laïques occidentales, comment selon vous l'art bouddhique peut-il toucher à la fois les consciences et la sensibilité?

L'art a une portée universelle, ainsi il n’est pas nécessaire de s’inscrire dans la tradition bouddhiste pour recevoir ce que son art peut nous offrir. C’est un art méditatif qui sait rendre le regard présent à lui-même par la beauté de ses compositions. C’est un art symbolique qui rend visible les réalités spirituelles les plus hautes. C’est un art qui sait mobiliser une imagination vraie pour nous faire découvrir les profondeurs de notre intériorité, mais aussi l’éclat du monde lorsqu’il est perçu par un regard libéré de l’illusion.

 

Que représente pour vous l'Avatamsaka soutra? Un monument ? Que signifie ce terme en sanskrit?

Oui (rires) c’est un texte monstrueux ! C'est une collection de 45 soutras (selon la tradition tibétaine). On traduit le plus souvent son titre sanskrit par Soutra de la Guirlande de Fleurs des Bouddhas ou Soutra de l’ Ornementation Fleurie. Les ornements, les fleurs, les palais, les univers et les multivers découverts à la lecture de ce texte vertigineux sont l'expression visionnaire des Bouddhas qui se confond avec le tout du Réel, ce que cette tradition nomme le Dharmadhatu. Les mondes sont l’expression de l’absolu, car ce dernier en est la nature. Ce que nous vivons à présent, mais aussi les terres de Bouddha les plus éthérées, font partie de cette nature. L’absolu n’est plus vu comme lointain, il est la trame même de nos jours et de nos nuits. Encore faut-il le voir. Ce soutra nous invite ainsi à une métanoïa, un complet retournement du regard. Il y a de multiples raisons pour s’intéresser à un tel texte ; l’angle sous lequel nous l’approcherons durant mon intervention sera celui de l’art et de l’imagination. L'Avatamsaka soutra a inspiré de nombreuses œuvres d’art asiatiques, mais aussi des artistes contemporains. Un tel texte peut en effet être une clef pour comprendre l’imagination comme accès au Réel (et non illusion qui perpétue la souffrance) et l’art comme moyen habile (et non objet d’attachement).

 

Vous êtes à la fois poète, artiste, conférencier. Votre travail pictural s'inscrit résolument dans une perspective de modernité et de spiritualité, peut-on dire? Comment avez-vous cheminé avec une telle exigence dans l'expression artistique?

Il y a plusieurs lectures possibles de la modernité artistique. Mon choix personnel est d’y voir un point de rencontre entre l’intemporelle quête de transcendance et ce qui appartient en propre à une époque. Un point de jonction entre l’éternel et l’éphémère donc. Il est intéressant de noter, par exemple, que nombre de pionniers de la peinture abstraite W.Kandinsky, P. Mondrian ou F.Kupka voyaient dans l’art une forme d’exercice spirituel. Ainsi, l'artiste Hilma af Klint, redécouverte récemment, était guidée par une vision spirituelle dans ses grandes compositions abstraites.

 

Comment conseilleriez-vous à nos étudiants de se préparer avant votre conférence?

Ils peuvent s'inspirer de la bibliographie (voir le site) et, par exemple, lire des extraits du Soutra des Dix Terres, du Soutra de l'Entrée dans la Dimension Absolue traduit par Patrick Carré, et l'article que Philippe Cornu a consacré à l'Avatamsaka Soutra dans Son Dictionnaire du Bouddhisme. Si certains ouvrages de cette collection Trésors du bouddhisme chez Fayard sont épuisés, il est possible d'en commander auprès de l'éditeur.

 

Damien, quel rôle joue la lumière?

La lumière est fondamentale en tout. Sur un simple plan physique, on ne voit pas les choses, mais la lumière qu'elles reflètent : la lumière est l’essence même du visible. Dans le Mahayana, il est fait usage de multiples métaphores lumineuses : « la vérité qui tout illumine » par exemple. Le Bouddha Vairocana est, littéralement, « tout illuminant ». Il est question de vacuité-luminosité, pour signifier l’aspect connaissant, clair et dynamique de la vacuité lorsqu’elle est effectivement réalisée. Toujours dans cette tradition, la luminosité est aussi celle qui se manifeste dans les expériences visionnaires telles que celles décrites par exemple dans le soutra que nous allons étudier. Bien plus modestement, je vis mon travail d'artiste comme étant d’abord un hommage à la lumière qui émane de la feuille blanche. Il s’agit de la faire apparaître, disparaître et réapparaître via les images qui adviennent lorsque je dessine. Un imaginaire que je conçois comme approche et médiation vers l’absolu.


Notes :
Site du musée Guimet : https://www.guimet.fr/
Hilma af Klint, artiste suédoise (1862-1944) pionnière de l'art abstrait
Dictionnaire Encyclopédique du Bouddhisme, Philippe Cornu, 2001

 

Retrouvez Damien Brohon dans le cycle de cours sur l'art et l'iconographie bouddhique !