ecole Huayan

 Marchands, dynastie Tang, grottes des milles Bouddhas des grottes de Bezeklik, Chine.

Pour l'école Huayan, les dharma sont vides, sous le double aspect du li, noumène ou principe ultime statique, et du shi, phénomène, ces deux plans s'interpénétrant. Dans le même temps, il est affirmé que tous les phénomènes ne forment qu'un seul et même tout ; chaque phénomène particulier est indéfectiblement identifié aux autres phénomènes. Ceci constitue un système total : chaque point converge vers le buddha qui devient le centre de tout. On conçoit combien un tel point de vue pouvait être détourné de son orientation purement spirituelle au profit d'applications politiques. Ainsi l' impératrice Wu Zetian tirera profit de cette doctrine pour justifier un système totalitaire et très centralisé ; les empereurs du Japon feront de même. Dans ce même esprit, l'em-pereur Shômu (724-748) fit construire le fameux Todaiji, à Nara, où il érigea la gigantesque statue du buddha Mahavairocana.

Tandis que le Tiantai prête attention à la relation entre le nouménon et le phénoménon, entre l'un et tous les particuliers, le Huayan s'attache plus précisément à éclairer la relation de tous les phénomènes entre eux.

L' école Huayan diffère notamment de l'école Tiantai par le fait qu' elle introduit un quatrième aspect dans le règne des dharma : elle observe que les choses et les événements particuliers, en un mot les phénomènes, tout en gardant leur autonomie, s' incluent harmonieusement les uns les autres, parce qu' ils renvoient tous à un même principe universel (dharmadhatu).
L'école Huayan affirme en outre l'identité foncière du monde réel et de l'esprit universel. Tout dans l'univers, animé ou inanimé, est la représentation du même esprit suprême. Puisque les phénomènes sont les manifestations de l'unique noumène immuable, ils sont en parfaite harmonie les uns avec les autres, comme les vagues d'un même fleuve.
En vertu de ce principe, le reflet de l'un s'inscrit dans la diversité et inversement. Il en va de même pour chaque chose ou événement particulier : chacun se reflète en tous les autres. L'école Huayan propose ainsi une doctrine de la totalité, considérée comme l'aboutissement parfait de l'enseignement du buddha.

Cette doctrine repose sur le principe universel de causalité du dharmadhatu (jajie yuanqi) . Ce terme peut s'entendre de plusieurs manières : il est employé comme synonyme de vérité ultime. Il peut se traduire « Élément des éléments », « espace de la réalité absolue » ; il désigne aussi l'univers, le « domaine de tous les éléments » ; il récapitule l'ensemble des apparences du passé, du présent et du futur. Une telle vision englobante et totale est celle des buddha à la sagesse omnisciente. Dans les théories précédentes, notamment dans celles du bouddhisme ancien, la causalité était soit une causalité par concaténation (yegan yuanqi), c'est-à-dire par influence simultanée, soit une causalité par idéation et par accumulation ou dépôt

(laiye yuanqi), ce que développe le courant du «Rien-que-conscience » (Weishi). Ce dernier type de causalité suppose une énergie accumulée au sein d'une conscience de tréfonds . Pour le courant Huayan, il existe

une troisième forme de causalité désignée par l' expression « matrice de l'Ainsi-venu » (skt Tathagatagarbha, ch. rulaizang) ou Ainsité (skt tathata, ch. zhenru). Si l'on retient l'aspect de « matrice » du Tathagata-garbha, on peut dire que celui-ci masque en quelque sorte, par englobement, la nature de Buddha inhérente en tout être. Vu sous cet angle, le dharmadhatu a un aspect impur, mais, étant par ailleurs synonyme d'Ainsité, il est également et naturellement pur. Le dharmadhatu est donc à la fois pur et impur. En conséquence, on peut affirmer que l'Ainsité pénètre tous les êtres ou plutôt tous les êtres entrent dans l'état de l'Ainsité . Tel est le sens de la causation, ou causalité, dans la perspective du dharmadhatu.

En vertu de ce principe universel englobant tout, les dharma de l'univers apparaissent simultanément. L'univers se crée lui-même sous l'influence réciproque et commune exercée les uns sur les autres par les êtres vivants. Envisagé sur un plan intensif, l'univers est la manifestation de l'Ainsité ou de la Matrice de Tathagata. Sur un plan extensif, cette causation sert à expliquer comment l'univers naît de lui-même. (18) La Loi de co-production conditionnée ou en dépendance (skt pratïtyasamutpada, ch. yuansheng yuanqi) qui, dans son acception ancienne, reposait sur une dépendance temporelle, devient donc, vue sous l'angle du dharmadhatu, la théorie selon laquelle tous les phénomènes présents dans l'univers sont universellement corrélatifs, interdépendants et mutuellement dérivés les uns des autres : aucun être n'existe indé-
pendamment des autres. Une telle causalité universelle implique une dépendance de tous les éléments (dharma) de l'univers, les uns par rapport aux autres, entraînant leur apparition simultanée. « Cette idée impliquant l'autocréation de l 'univers ne manque pas d'évoquer la "création spontanée" ou l'auto-transformation dont parlait Guo Xiang au IV
siècle.» (19) De ce nouveau système de causation découlent deux conséquences : d'une part, le principe universel et le phénomène particulier sont indéfectiblement dépendants l'un de l'autre ; d'autre part, les phénomènes sont mutuellement identiques l'un par rapport à l'autre. Tout phénomène particulier contient en lui tous les autres phénomènes. Par voie de conséquence, ils ont entre eux une dépendance spatiale. Toutefois, une telle vue des choses ne doit pas faire oublier que les dharma sont tous fondamentalement vides.

Une telle vacuité a deux aspects : l'un statique, en tant qu'elle coïncide avec le principe ou noumène ; l'autre dynamique, en tant qu 'elle englobe tous les phénomènes.

Paul Magnin 

Paul Magnin est un sinologue et directeur de recherche au CNRS, où il est membre du « Groupe de sociologie des religions et de la laïcité ». Il est connu pour être un spécialiste du bouddhisme chinois. Il a travaillé sous la direction de André Bareau

 

Extrait de Les Cahiers Bouddhiques n° 2 (2005)

(17) G. C. C. CHANG , The Buddhist Teaching of Totality. The Philoso-
phy of Hwa-yen

Buddhism ; F. H. CooK, Hua-yen Buddhism : the Jewel Net of Indra ;
R. M. ÜIMELLO &
P. N. GREGORY (éd.), Studies in Ch 'an and Hua-yen; FUNG You-lan,
History of Chinese
Philosophy, vol. II, p. 3 3 9-359 ; TAKAKusu Junj iro, The Essentials of
Buddhist Philosophy,
p. 1 08 - 1 2 5 . (18) Il n'y a aucune référence à un dieu créateur. (19)
Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise, p 178