Chandra_Khonnokyoong

Khun Yay Maharatana Chandra Khonnokyoung upasika est la fondatrice du Wat Phra Dhammakāya, le plus grand temple bouddhiste de Thaïlande.

Didier Treutenaere nous présente dans ce texte la vie d'une femme exceptionnelle, dont chaque instant fut empli d'actes méritoires, dont chaque pensée fut tourné vers le nibbana et dont les vertus permanentes ont été la gratitude, le respect, la pureté de l'esprit, la discipline, la compassion, la persévérance et l'attention aux autres.

Chandra était une provinciale ; Bangkok était donc pour elle une terre inconnue. Et il n’était pas si facile d’être acceptée au Wat Paknam. En général, un étranger ne pouvait rejoindre la communauté des fidèles du temple, et encore moins intégrer sa congrégation, sans avoir été parrainé par une personne déjà connue du temple. Chandra n’avait aucun contact de ce genre. Au début, elle s’installa dans la maison de parents éloignés. Mais son but était de trouver à s’employer dans la demeure d’une famille pratiquant la méditation au Wat Paknam. Elle attendit donc que survienne une telle occasion. Cette opportunité se présenta enfin, en la personne de Khun Naï Liap Sikanchananand, une femme de l’aristocratie qui habitait à Saphan Han. Khun Naï Liap était connue du Vénérable du Wat Paknam. Elle était même considérée comme faisant partie des principaux donateurs du temple dans la mesure où elle offrait régulièrement, depuis plus de vingt ans, des repas pour les moines et les novices. Sa famille était à la fois fortunée et influente. Elle était propriétaire de plusieurs kilomètres de boutiques et possédait également sa propre société d’import-export. Chandra sut que tel serait le lien dont elle avait besoin pour être introduite au sein du Wat Paknam.

Elle décida de solliciter un emploi auprès de cette famille et y fut bientôt embauchée comme domestique. Bien qu’issue d’une famille relativement aisée, Chandra dut accepter de se faire domestique afin d’avoir un jour une chance de connaître le Dhamma, son but ultime. Elle ne voyait cet emploi que comme la première marche lui permettant d’accéder au Wat Pak-nam. Lorsque Chandra commença à travailler pour Khun Naï Liap, bien que ce travail ne soit qu’un moyen au service d’une fin, elle fit face à toutes les tâches qu’on lui fixait, sans jamais les considérer comme des corvées. Elle estimait que son travail de-vait aider à maintenir en ordre la demeure de sa maîtresse et qu’elle participait ainsi à la pérennité de la fortune familiale.

Par nature, Chandra était toujours sérieuse et appliquée ; la discipline et la persévérance faisaient partie de son caractère. Elle aimait la propreté. Son honnêteté était si évidente qu’il ne fallut pas longtemps avant qu’elle ne soit aimée et considérée comme totalement fiable par toute la maisonnée. Elle fut, en l’espace d’une semaine, promue responsable de l’ensemble des domestiques. Khun Naï Liap était certaine que tout travail délégué à Chandra serait parfaitement mené à bien. Avec Chandra à la maison, Khun Naï Liap pouvait se consacrer en toute quiétude à son travail à l’extérieur, sachant que son foyer était entre de bonnes mains. Khun Naï Liap lui faisait tellement confiance que c’est à Chandra, et non à ses propres enfants, qu’elle confia la clef de la pièce où la famille conservait tous ses bijoux et tout son argent liquide ! Cette pièce n’était de fait autorisée qu’à Khun Naï Liap et à Chandra. Chandra patienta ainsi, jusqu’à ce que l’opportunité de commencer à étudier la méditation se présente enfin en la personne de Thongsuk Samdaengpan, une enseignante (alors) laïque.

Lors de leur rencontre, Upāsikā Thongsuk était âgée de trente-six ans, neuf ans de plus que Chandra. C’était une femme de forte carrure, dotée d’un fort tempérament forgé durant une enfance d’une considérable dureté. Elle avait été acceptée en suivant le protocole normal, ce qui en ce temps-là n’était pas chose aisée, au sein de l’atelier de méditation du Wat Paknam. Pour être autorisée à méditer dans cet atelier, elle avait dû se soumettre aux investigations d’un moine chevronné ; il lui avait posé des questions auxquelles l’homme de la rue n’aurait rien compris, des questions dont les réponses n’appartiennent qu’à ceux et celles qui sont déjà parvenus à Dhammakāya. Les questions n’étaient pas formulées pour que des êtres humains ni même des êtres des plans d’existence supérieurs puissent répondre ; elles ne pouvaient être comprises qu’en se plaçant au sein de Dhammakāya. Khun Yay Thongsuk avait été acceptée dans l’atelier parce que sa méditation avait déjà atteint un degré de perfection considérable. La famille pouvait inviter Khun Yay Thongsuk parce qu’en raison de son haut niveau de recherche méditative Luang Pou lui avait confié la mission d’enseigner la méditation en dehors du temple. Chandra qui, depuis si longtemps, tentait de pratiquer la méditation avec un tel maître, fut emplie de joie et d’impatience en apprenant qu’elle allait venir jusque dans cette maison ! Elle sentit qu’Upāsikā Thongsuk pourrait être celle qui lui apporterait toutes les connaissances dont elle avait besoin. Chandra aurait voulu commencer à méditer comme le faisait toute la famille de Khun Naï Liap. Mais, en même temps, elle savait que son statut de domestique ne lui ouvrirait pas facilement cette possibilité. Elle se mit donc à rechercher un moyen de servir Upāsikā Thongsuk afin d’attirer son attention et de lui faire comprendre son désir d’étudier. Alors seulement elle pourrait espérer bénéficier des mêmes enseignements que le reste de la famille. Cela signifiait que Chandra allait travailler encore plus qu’auparavant : elle devrait dégager suffisamment de temps pour pouvoir s’occuper elle-même de l’enseignante. Elle faisait donc son lit et dépoussiérait sa moustiquaire ; elle lavait ses vêtements, les repassait et les pliait si parfaitement qu’elle était presque assurée d’attirer ainsi son attention.

Quelques semaines plus tard, en effet, tout en contemplant son linge impeccable, Upāsikā Thongsuk s’adressa à Chandra : « Ne voudrais-tu pas, de temps à autre, pratiquer la méditation ? » En entendant ces mots, Chandra se sentit emplie d’un bonheur semblable à celui d’un chat qui se verrait offrir une écuelle de crème ; elle répondit à Upāsikā Thongsuk : « Je ne désire rien d’autre au monde ; mais je ne peux simplement monter à l’étage et méditer avec les autres ; je risque de froisser ma maîtresse. » Sans difficulté, Upāsikā Thongsuk obtint de Khun Naï Liap la permission pour Chandra de méditer avec la famille.

Chandra : Lune, prénom donné par ses parents

Khonnokyoung : Plume de Paon, était son surnom

*Maharatana : Joyau suprême

*upasika : renonçante bouddhiste de la tradition Theravada depuis l'extinction des lignées monastiques féminines (bikkhuni)

Traduction Didier Treutenaere, Asia Editions 2010

Cet ouvrage retrace la vie de Khun Yay à partir de trois sources thaïlandaises disponibles en langue anglaise : les chapitres principaux de Deun pay su kwam suk (1970), com-pilés par différents auteurs et traduits par Chalermsri Pong-sai ; la biographie de Khun Yay par Prapasri Bounsuk (1998) traduite par Phra Nicholas Thānissaro ; la biographie des dernières années de Khun Yay, Yoo kap Yay par Rata-namala (2002), traduite par Pittaya Tisuthiwong et éditée par Mark David George. Ces trois sources ont été compilées et présentées en un ouvrage unique par Phra Nicholas Thānissaro.Itinéraire d’une renonçante thaïlandaise, Khun Yay* Maharatana* Upasika* (extrait)