La doctrine bouddhique est souvent présentée comme un "enseignement graduel". Le Buddha commence par exposer "notre" vision de la réalité, puis il en propose une analyse nouvelle et, finalement, enseigne comment parvenir à voir les choses comme il les voit lui-même, c'est-à-dire "telles qu'elles sont"...
Le "Soi" et l'ego
Dans notre expérience habituelle, nous considérons le monde et ses phénomènes, notre corps et notre esprit, ou encore nos sentiments et nos idées... comme s'ils étaient en relation entre eux mais foncièrement indépendants les uns des autres et existants par eux-mêmes, dotés de ce qu'on appelle une "essence" ou un "Soi".
Pour expliquer la variété du monde, on imagine que chaque individu, chaque phénomène n'est en fait qu'une sorte de "variation" sur le thème que serait le "Soi" : un cheval, un arbre, une montagne, une colère, un amour... ne seraient ainsi qu'une sorte d'exemplaire particulier du "cheval-en-soi", de l'"arbre-en-soi", de la "montagne-en-soi", de la "colère-en-soi" ou de l'"amour-en-soi" !
En ce qui concerne notre propre esprit, notre "personnalité", nous croyons fermement en l'existence d'un "ego" (en sanskrit, un ātman), insubstantiel et permanent, qui, à travers le corps, appréhende le monde, éprouve des sentiments, raisonne, conçoit des idées. L'ego, encore plus que le corps, est ce qui nous semble constituer notre individualité, ce qui nous appartient en propre.
L'impermanence et l'insatisfaction
A chaque instant de notre vie, nous pouvons constater que tout, dans la nature, est soumis au changement et à la mort. Tout ce qui apparaît, disparaîtra un jour ou l'autre. C'est aussi le cas de notre propre corps, comme pour tous les êtres vivants et toutes les choses matérielles. C'est aussi le cas pour nos sentiments et nos idées : comme les étoiles ou les montagnes, notre amour apparaît un jour et un jour disparaîtra, et nous changeons d'idées et d'opinions.
C'est cette impermanence (en sanskrit, anītya), qui provoque cette insatisfaction (en sanskrit, duḥkha) qui nous fait souffrir et nous rend malheureux. De plus, parce que nous constatons que tout meurt - tout ce qui, pour nous, a un "Soi" - nous craignons que notre propre ego soit, lui aussi, mortel !
Mais il en va des choses comme de l'ego : rien n'existe "en Soi". Tout - y compris notre ego - naît et meurt. C'est parce que nous refusons cette réalité des choses, "telles qu'elles sont", parce que nous entretenons l'illusion de l'existence d'un "Soi", que nous sommes insatisfaits et que nous souffrons.
Karma et renaissance
Dans notre vie quotidienne, tous nos actes (karma) dépendent étroitement de cette vision des choses : nos actions, nos réactions, nos désirs et nos craintes sont déterminés par cette croyance en un "ego-qui-existe-en-Soi". C'est pour l'entretenir, le protéger et le développer que nous agissons ou réagissons, en fonction de nos idées et de nos sentiments ou des événements extérieurs.
À chaque fois que quelqu'un ou quelque chose nous semble mettre en cause cet "ego-en-Soi", nous agissons comme pour bien nous prouver à nous-même que nous existons, que cet ego existe. Chacun de nos actes, ainsi, naît de cette intention de prouver son existence et, une fois l'acte passé, nous nous réjouissons de l'avoir prouvée.
Chaque fois que notre ego est en danger de mort, nous faisons tout pour le faire renaître, pour le maintenir en vie... C'est la croyance en l'ego qui nourrit l'intention de chacun de nos actes et c'est l'attachement au résultat de ces actes qui entretient notre croyance en l'ego. Chaque acte entraîne ainsi une "nouvelle existence" (en sanskrit : purna-bhava), une renaissance - de l'ego.
il ne s'agit pas à proprement parler d'une "réincarnation" (le retour d'une âme dans un corps différent...) mais plutôt d'un processus de re-création de l'idée que l'on se fait de soi-même, la re-production d'une "erreur de jugement", que le Buddha considère comme une "illusion"...
Bhava-cakra : la "Roue de la vie" - Tibet
Cette représentation symbolique figure, au centre, les "Trois Poisons" de l'esprit : l'avidité (un oiseau), l'aversion (un serpent) et la stupidité (un bœuf) ; dans le premier cercle, les six modes d'existence (à droite, sur fond noir et de haut en bas : animal, fantôme affamé et être des Enfers ; sur fond blanc et de bas en haut : homme, demi-dieu et dieu). Les six quartiers principaux reprennent les six modes d'existence de manière développée (en haut, les dieux puis, à droite, les hommes et les animaux ; en bas les Enfers ; en bas à gauche les fantômes affamés puis, au-dessus, les demi-dieux). Enfin, le cercle extérieur représente en détail les 12 maillons de la chaîne du conditionnement, ou "cycle des renaissances", de cette "idée de soi".
Le conditionnement et la "vacuité"
Pour le Buddha, les phénomènes n'existent pas "en-soi" parce qu'ils sont "conditionnés" : ils n'existent pas en fonction d'une essence, éternelle et indépendante, mais, au contraire, ils apparaissent en fonction des circonstances, ils sont produits par un certain nombre de conditions.
dans les textes bouddhiques, on désigne cette idée centrale de l'enseignement du Buddha, la coproduction conditionnée (en sanskrit : pratītya samutpāda).
Les objets physiques sont des "composés". Comme la montagne est un agrégat de pierre, de terre et de résidus végétaux ou animaux, notre corps est composé de cellules qui nous viennent de nos parents, de la nourriture que nous ingérons, de l'air que nous respirons.
Nos perceptions, elles aussi, sont "composées". Elles sont le résultat combiné de l'existence des objets extérieurs, de leur contact avec notre corps, de l'impression qu'ils laissent sur nos sens et de l'interprétation qu'en fait notre cerveau.
Nos idées, de même, sont "composées". Elles dépendent de l'éducation que nous avons reçue, de notre perception du monde extérieur, des événements que nous avons vécus, des idées que d'autres personnes ont exprimées. Et notre ego - l'idée que nous avons de nous-même - est, de ce point de vue-là, une idée comme une autre...
De plus, tous les phénomènes que nous expérimentons dans notre vie quotidienne (le monde extérieur comme notre propre corps ou notre propre esprit) n'existent pas indépendamment de l'expérience que nous en faisons. Non seulement ils n'apparaissent qu'en fonction de conditions multiples et changeantes, mais ils n'ont qu'une "existence relative" à l'expérience que nous en avons.
En réalité - la réalité "telle qu'elle est" - s'il existe une "existence absolue" des phénomènes, elle se caractérise par la "vacuité" (en sanskrit, śunyatā) de tous les phénomènes ! Tous les phénomènes sont "vides" parce qu'ils n'existent pas en eux-mêmes ni indépendamment de l'expérience que nous en avons...
C'est cette "vacuité" que l'on peut expérimenter dans les pratiques d'entraînement de l'esprit que préconise le Buddha...
Pour en savoir plus...
sur notre site, lire "La première Noble Vérité : "Ceci est dukkha (souffrance)...""