Le bouddhisme vietnamien est la forme de bouddhisme la plus répandue en France aujourd'hui... mais aussi la plus méconnue des Français ! Plus de 350.000 personnes originaires du Viêtnam vivent en effet sur le territoire et représentent ainsi plus de 60% des bouddhistes de France.
Le bouddhisme vietnamien se présente essentiellement sous deux formes : la forme traditionnelle, liée à la population émigrée de l'ancienne Indochine, et une forme « moderne » représentée par le maître contemporain Thich Nhat Hanh.
La forme traditionnelle est présente à travers une trentaine de pagodes, dont la plus ancienne est la « pagode de Fréjus », plus ancien monument bouddhique de France, construite en 1917 en l'honneur des « soldats annamites morts pour la France ».
Ces pagodes sont généralement regroupées au sein de fédérations, nationale - l'Eglise Bouddhique Unifiée du Viêt-Nam (EBUV), notamment - ou internationale - Linh Son International (qui compte une cinquantaine de pagodes dans le monde entier). Elle sont très représentatives du syncrétisme particulier à ce pays « frontière » qui, au cours de son histoire mouvementée, a subi les influences conjuguées de l'Asie du Sud-Est, qui suit aujourd'hui majoritairement le Theravāda, et de la Chine, confucéenne, taoïste mais aussi bouddhiste du Mahāyāna.
Un bouddhisme "composite"
L'histoire récente, liée à la colonisation française (fin du XIXe, début du XXe siècle), a incité les Vietnamiens eux-mêmes à opérer, contre la christianisation, une sorte de synthèse des différentes écoles bouddhistes présentes sur leur territoire, mêlant ainsi étroitement des influences Theravāda, Terre Pure, Thiên (transcription vietnamienne du Chan/Zen sino- japonais) et même tantrique. De plus, le bouddhisme y a toujours été fortement influencé par la religion autochtone, essentiellement par le culte des ancêtres.
Le bouddhisme vietnamien, notamment tel qu'il se perpétue au sein de l'EBUV et de la fédération Linh Son, présente donc un visage plutôt « composite » au regard des autres traditions bouddhistes asiatiques, qui paraissent souvent plus « monolithiques ». Il s'affirme souvent de tradition Thiên - qui a toujours joui d'un grand prestige - mais reste néanmoins profondément imprégné, à la fois, des pratiques de dévotion de l'école de la Terre Pure et du culte des ancêtres. D'autre part, quoique très influencé par le bouddhisme Mahāyāna, le respect des préceptes et de l'éthique, comme la référence fréquente aux sūtra anciens, démontrent une influence du Theravāda.
Un moine vietnamien résidant en France résume cette situation par une formule très conciliante - et tout à fait représentative : « Nous suivons l'enseignement du Theravāda pour ses principes, nous pratiquons la méditation Thiên ou l'invocation au Bouddha Amida [pratique de l'Ecole de la Terre Pure] et chacun de nos gestes est accompagné de formules tantriques » !
Deux grands pôles géographiques regroupent les principales pagodes vietnamiennes de France : la région parisienne et la région marseillaise, point de débarquement des « boat-people » dans les années 70.
Thich Nhat Hanh et "l'Ordre de l'Inter-Etre"
Tout à fait à part, bien qu'il se rattache lui-même à l'EBUV, est le Vénérable Thich Nhat Hanh, fondateur d'une nouvelle école : « l'Ordre de l'Inter-Être » (Tiep Hien).
Installé en France depuis le début des années soixante-dix, il a surtout longtemps été connu aux Etats-Unis et dans les pays anglo-saxons (sa qualité de réfugié politique lui « interdisant » d'être trop « visible » en France...), mais la publication de ses très nombreux ouvrages ont finalement popularisé sa pensée en France. Résidant désormais en Dordogne, au « Village des Pruniers », sa communauté rassemble une centaine de religieux, et dispose de plusieurs « antennes » un peu partout en Europe occidentale.
L'Ordre de l'Inter-Être a été créé le 5 février 1966, à Saïgon, dans le cadre du mouvement de réforme bouddhique des années cinquante, alors que le Viêtnam connaissait la guerre et une répression du bouddhisme. Il s'appuie sur une série de préceptes qui reprennent et développent les Cinq Préceptes de base du bouddhisme, en les modernisant et en leur donnant une coloration nettement sociale, prônant aussi un engagement « politique ». Thich Nhat Hanh, plusieurs fois proposé au Prix Nobel de la Paix par son ami Martin Luther King, est d'ailleurs l'un des co-fondateurs du mouvement des « Bouddhistes engagés », aux côtés du thaïlandais Sulak Sivaraksa et du XIVe Dalaï-Lama.
Thich Nhat Hanh insiste dans son enseignement sur la pratique de la « Pleine conscience », qui s'effectue aussi bien en posture assise que dans chaque acte de la vie quotidienne. Une telle pratique relève ainsi presque autant de la pratique classique du Zen, le zazen, que de la pratique de « l'établissement de l'attention » (satipaṭṭhana) préconisée par l'école du Theravāda [le sud-Viêtnam, d'où est originaire Thich Nhat Hanh, est proche, géographiquement et culturellement, du Cambodge theravādin.].
Remarquable enseignant, écrivain et conteur, Thich Nhat Hanh a su rassembler autour de lui une communauté mixte, ce qui fait de lui, indéniablement, un personnage tout à fait exceptionnel. Son « Ordre de l'Inter-Être » est à vrai dire le seul, aujourd'hui, à réunir ainsi dans de mêmes lieux et pour des pratiques semblables, à la fois des bouddhistes d'origine asiatique et des bouddhistes occidentaux.