En se diffusant hors de l'Inde, le bouddhisme s'est "acclimaté" aux cultures dans lesquelles il s'est implanté, imprimant des caractéristiques particulières aux différentes écoles des trois grandes aires géographiques de l'Asie du sud-est, de l'Extrême-Orient et du Tibet.
Sur les Routes de la Soie
En Inde, le bouddhisme se répand grâce aux moines itinérants, mais c’est par les marchands qu’il se diffuse le long des Routes de la Soie. Cette classe montante, peu appréciée des brahmanes, adopte vite cette religion qui leur paraît plus conciliante. Aux alentours de l’ère chrétienne, l’Inde du nord et le Gandhara, soumis à plusieurs vagues d’envahisseurs, forment un creuset culturel où le bouddhisme se trouve confronté à des influences nombreuses, et s’adapte… Les premiers développements du Mahâyâna favorisent aussi un bouddhisme plus dévotionnel. Le bouddhisme devient, de plus en plus, une religion de masses populaires. Les monastères s’implantent alors le long des routes commerciales. On en trouve tout le long des côtes de l’Asie du sud-est, en Indonésie, jusqu’aux Célèbes… aux portes de l’Iran, autour du désert du Takla-makan en Asie centrale, aux confins de la Chine. Chaque cité-état, port maritime ou oasis du désert, abrite un ou plusieurs monastères, qui diffusent aussi bien les enseignements du bouddhisme "ancien" que ceux du Mahâyâna.
En Extrême-Orient : dans l'Empire du Milieu
Le bouddhisme parvient en Chine au début de l’ère chrétienne, avant tout grâce aux textes transmis depuis l’Asie centrale. Ces textes, originaux ou déjà traduits, sont épars et disparates. On a d’abord tenté de les traduire dans le vocabulaire taoïste. Il en est résulté beaucoup de confusion… Du Ve au Xe siècle, de nombreux pèlerins chinois feront le voyage jusqu’en Inde à la recherche de textes originaux ou de l’enseignement direct de maîtres. De nouvelles traductions permettent d’établir un canon hiérarchisé et une dizaine d’écoles se créent, le plus souvent en fonction du texte qu’elles considèrent comme le plus important. Chacune d’elles met l’accent sur un type de pratique particulier : récitation du nom du Bouddha Amida dans l’Ecole de la "Terre Pure", pratique quasi exclusive de la méditation assise, dans l’école du Chan (le Zen japonais)…
Le bouddhisme, cependant, apparaît choquant à de nombreux Chinois, surtout confucéens. La vie monastique, l’aumône et le célibat des moines, notamment, mettent en cause la suprématie de l’Empereur, le culte des ancêtres, le rôle économique et social des individus. Le bouddhisme réussit néanmoins à s’implanter en « profitant » d’une longue période de troubles politiques. Mais les riches et les puissants, donateurs indispensables à la survie des institutions monastiques, sont des mécènes prompts à retirer leur protection. Le bouddhisme connaîtra plusieurs vagues de persécution dont la plus importante, en 845, faillit l’annihiler.
Entre temps, il s’est répandu au Viêtnam, en Corée et, de là, au Japon, grâce au soutien des dirigeants et des élites. Au Japon, une profonde mutation aura lieu au XIIIe siècle, pendant une période de troubles considérée comme la « fin des temps » (mappo). La situation favorisera l’émergence de nouvelles écoles, strictement japonaises, qui cherchent à simplifier la pratique pour une plus grande « efficacité » et rompent souvent avec la tradition monastique.
En Asie du sud-est : un ensemble complexe
Au début de l’ère chrétienne, le bouddhisme devient aussi florissant en Asie du sud-est. Les souverains semblent avoir été plutôt sensibles au brahmanisme, qui propose une structure sociale cohérente, basée sur le système des castes. Mais certains adoptent le bouddhisme qui s’est implanté dans le peuple - sensible, lui, au message bouddhique de salut individuel ou à la promesse d’une future vie bienheureuse chez les dieux.
Du Ve au Xe siècle, un syncrétisme complexe se met en place : au brahmanisme et au bouddhisme "ancien", s’ajoutent le shivaïsme et les écoles du Mahâyâna et du Vajrayâna. Les élites adoptent surtout les formes religieuses les plus complexes, qu’elles croient à même d’assurer leur pouvoir ou de glorifier le souverain. Le Vajrayâna connaît un succès incontestable en Indonésie, comme en témoigne le plus vaste monument bouddhique : le stûpa-montagne de Borobudur, construit vers 800 à Java. Des universités célèbres voient aussi le jour, que fréquentent des pèlerins chinois et indiens.
Dans le vaste empire khmer, le Mahâyâna supplante un temps le shivaïsme, au XIe siècle. Il offre au souverain Javayarman VII un idéal de royauté spirituelle ; celui-ci n’hésite pas à se considérer comme un bodhisattva et il fait orner de son visage les tours du Bayon, le temple-montagne d’Angkhor-Thom. Le peuple, de son côté, reste fidèle aux écoles anciennes, au sein desquelles les croyances animistes trouvent leur place – et aussi parce que le Mahâyâna représente le système adopté par le pouvoir !
D’importants bouleversements politiques, dus à l’invasion de peuples sino-tibétains (Birmans, Thaïs, Laos…), favorise finalement la prééminence de l’école Theravâda de Ceylan sur l’ensemble de la péninsule indochinoise.
Au Tibet : sur le Toit du monde
Le bouddhisme parvient « officiellement » au Tibet au VIIIe s. mais il y était déjà connu avant, par la Chine et les royaumes d’Asie centrale. Très vite, les Tibétains adoptent le bouddhisme indien du Vajrayâna, alors très influent en Inde du Nord. Un débat célèbre se déroule à la fin du VIIIe siècle, entre représentants du Chan chinois et du tantrisme indien. On conserve deux versions de cette rencontre : la tibétaine déclare que le vainqueur fut l’Indien ; la chinoise donne la victoire aux Chinois. Le Tibet a officiellement choisi son camp… essentiellement pour des raisons politiques !
Une période de répression ralentit quelques temps cette première diffusion mais elle reprend au XIe siècle : les Tibétains créent alors un alphabet et une grammaire de leur langue pour traduire la littérature bouddhiste indienne. Ils disposent d’un canon déjà systématisé, offrant une synthèse de plus de mille ans d’histoire et d’évolution, selon le point de vue du Vajrayâna. De nombreux échanges ont lieu pour recevoir et transmettre les enseignements oraux « secrets ». Plusieurs écoles voient le jour, au gré des traductions et des transmissions orales. Ces institutions monastiques joueront un rôle déterminant dans l’histoire politique du Tibet, du fait de leur puissance idéologique et économique, et plusieurs écoles se succèderont à la tête du pays, en fonction d’alliances avec les puissances voisines, chinoises ou mongoles (ainsi des Dalaï-lama, « intronisés » par les Mongols, au XVIe s.).