Le bouddhisme a souvent été présenté comme une "science de l'esprit" et, depuis la fin du XIXe siècle, on compare volontiers la démarche du Buddha à celle des scientifiques, surtout lorsqu'on veut montrer que le Dharma ne demande pas une adhésion de foi aveugle mais, au contraire, une confiance née de l'expérimentation. Cette comparaison n'a pas toujours été exempte d'une certaine mauvaise foi, parfois même caricaturale, car elle servait aussi à opposer de manière un peu simpliste les religions du Livre - présentées comme essentiellement dogmatiques - et le bouddhisme - rationnel et scientifique. Il faudra attendre les toutes dernières décennies du XXe siècle pour qu'un véritable dialogue s'instaure entre les bouddhistes et les scientifiques occidentaux et que soit vérifiée - de manière scientifique ? - la pertinence d'une telle affirmation...

Le Dalaï-Lama participera activement à ce dialogue, dont il reste aujourd'hui l'un des membres bouddhistes les plus actifs. Dans un ouvrage paru il y a quelques années - "Tout l'univers dans un atome" - il évoque sa découverte de la science occidentale, raconte ses rencontres avec certains de ses plus éminents représentants et offre son point de vue éclairé sur cette question, analysant avec finesse et sans concession ce qui lui paraît effectivement comparable mais aussi les différences essentielles entre les deux démarches.
L'ouvrage est passionnant, parfois difficile, toujours intéressant... Nous vous proposons d'en découvrir quelques pages, tirées du chapitre 2, dans lesquelles il évoque ses premières découvertes adolescent, jusqu'aux premiers dialogues formels engagés dans des rencontres intitulées "Mind and Life"...

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Le témoignage du Dalaï-Lama :

Tout l’univers dans un atome
Science et bouddhisme, une invitation au dialogue

Ed. Robert Laffont, Paris, 2006
Chapitre 2 : Rencontre avec la science
(extraits tirés des pages 31 à 47)

Mes entretiens avec certaines personnes, en particulier des scientifiques de profession, m’ont permis de constater certaines similarités entre la science et la pensée bouddhique dans l’esprit d’investigation - similarités que je continue à trouver frappantes. La méthode scientifique, telle que je la comprends, part de l’observation de certains phénomènes du monde matériel. S’ensuit une généralisation théorique qui prédit les événements et les résultats à condition de traiter ces phénomènes d’une façon particulière. Enfin, l’expérience permet de tester la prédiction. Le résultat est accepté et intégré dans l’ensemble d’un savoir scientifique plus large si l’expérience est effectuée de manière correcte et peut être répétée. Cependant, si l’expérience contredit la théorie, c’est alors la théorie qui doit être adaptée - étant donné que l’observation empirique des phénomènes a la priorité. Effectivement, la science passe de l’expérience empirique à une explication via un processus de pensée conceptuelle incluant l’exercice de la raison. Elle conduit à d’autres expériences empiriques permettant de vérifier l’explication fournie par la raison. Longtemps, j’ai été fortement saisi par le parallèle entre cette forme d’investigation empirique et celles que j’avais apprises dans le cadre de ma formation philosophique et de ma pratique contemplative bouddhiques.
Le bouddhisme, au cours de son évolution, est devenu une religion dotée d’un ensemble caractéristique de textes sacrés et de rituels. Mais, si on veut le comprendre au sens strict, il faut savoir que l’autorité des textes sacrés ne peut surpasser une compréhension fondée sur la raison et l’expérience. En fait, le Bouddha lui-même a fait une déclaration célèbre où il réduit l’autorité des textes issus de ses propres paroles en exhortant ses disciples à ne pas accepter la validité de ses enseignements simplement sur la base du respect qu’ils ont à son égard. Tout comme un orfèvre éprouverait la pureté de son or par un examen méticuleux, le Bouddha conseille de tester la vérité de ses paroles par un examen raisonné et par l’expérimentation personnelle. Par conséquent, lorsqu’il s’agit de valider la vérité d’une affirmation, le bouddhisme accorde la plus grande autorité à l’expérience, en deuxième lieu à la raison et en dernier aux textes. Les grands maîtres de l’école Nalanda du bouddhisme indien, d’où est issu le bouddhisme tibétain, se sont appliqués à suivre l’esprit du conseil du Bouddha dans leur examen rigoureux et critique de ses propres enseignements.
D’un côté, les méthodes de la science et du bouddhisme sont différentes : l’investigation scientifique procède par expérimentation, en utilisant des instruments qui analysent des phénomènes extérieurs. L’investigation contemplative, elle, procède en développant et en affinant l’attention, cette dernière étant utilisée dans l’examen introspectif de l’expérience intérieure. Mais, d’un autre côté, les deux méthodes ont en commun une solide base empirique : si la science démontre que quelque chose existe ou n’existe pas (ce qui n’est pas la même chose que de ne pas la trouver), nous devons alors reconnaître cette chose comme un fait. Si une hypothèse est testée et avérée, nous devons l’accepter. Pareillement, le bouddhisme doit accepter les faits - qu’ils soient découverts par la science ou le résultat d’intuitions contemplatives. Si, en explorant quelque chose, nous découvrons la raison et la preuve de son existence, nous devons la reconnaître comme une réalité - même si celle-ci est en contradiction avec l’explication littérale d’un écrit qui a prévalu durant des siècles ou avec une opinion ou bien un point de vue fermement ancrés. Le bouddhisme et la science partagent donc une même attitude fondamentale, à savoir s’engager à poursuivre la recherche de la réalité par des moyens empiriques et consentir à abandonner des positions acceptées ou ancrées depuis longtemps si cette recherche découvre une vérité différente.
À l’inverse de la religion, une caractéristique importante de la science est l’absence de référence à des écrits faisant autorité pour valider ses prétentions à la vérité. En science, toutes les vérités doivent être démontrées soit par l’expérimentation, soit par la preuve mathématique. L’idée que quelque chose est ainsi parce que Newton ou Einstein l’ont déclaré n’est tout simplement pas scientifique. Pour procéder à une recherche, il faut donc être ouvert à la question ainsi qu’au contenu de la réponse, état d’esprit que je considère comme un scepticisme sain. Ce type d’ouverture rend les individus réceptifs à de nouvelles idées et à de nouvelles découvertes ; et, lorsqu’elle est associée à la quête de compréhension naturelle chez l’homme, elle contribue à élargir profondément notre horizon. Bien sûr, cela ne signifie pas que tous ceux qui pratiquent la science vivent selon cet idéal. Certains se retrouvent même prisonniers de paradigmes anciens.
[…]
L’un de mes premiers enseignants en science et de mes plus proches amis scientifiques a été le physicien et philosophe allemand Carl von Weizsäcker, frère du président ouest-allemand. […] Von Weizsäcker insistait beaucoup sur l’importance de l’empirisme en science. On peut connaître la matière de deux manières, disait-il - soit elle est donnée comme phénomène, soit elle est déduite. Par exemple, imaginons que nous voyons à l’œil nu une tache brune sur une pomme ; il s’agit d’un phénomène. Mais le fait qu’il y ait un ver dans la pomme, cela, nous pouvons le déduire de la tache et de notre connaissance générale concernant les pommes et les vers.
Dans la philosophie bouddhique existe le principe selon lequel les moyens utilisés pour tester une proposition spécifique doivent coïncider avec la nature du sujet analysé. Prenons l’exemple d’une proposition qui porte sur des faits observables (y compris notre propre existence). C’est l’expérience empirique qui permettra d’affirmer si la proposition est valable ou non. Le bouddhisme accorde ainsi la priorité à la méthode de l’observation directe. En revanche, si la proposition a trait à des généralisations déduites de notre expérience du monde (par exemple, la nature transitoire de la vie ou l’interconnectivité de la réalité), c’est alors par la raison, principalement sous forme de déduction, que la proposition sera acceptée ou rejetée. Ainsi, le bouddhisme accepte la méthode de la déduction raisonnée - très proche du modèle présenté par von Weizsäcker.
Enfin, du point de vue bouddhique, il existe un autre niveau de réalité qui demeure obscur pour l’esprit non éveillé. Dans la tradition, une illustration typique en serait les mécanismes très subtils de la loi du karma et la question de savoir pourquoi il existe tant d’espèces d’êtres vivants sur terre. Seuls les textes appartenant à cette catégorie de propositions font autorité. Les bouddhistes partent en effet du principe que le témoignage de Bouddha s’est révélé fiable dans sa façon d’examiner la nature de l’existence et la voie vers la libération. Ce principe des trois méthodes de vérification - expérience, déduction et autorité fiable - est demeuré implicite dans les premiers temps de la pensée bouddhique. Ce sont les grands logiciens indiens Dignana (Ve siècle) et Dharmakirti (VIIe siècle) qui, les premiers, l’ont ensuite adopté comme méthodologie systématique dans leur philosophie.
Dans ce dernier exemple, le bouddhisme et la science se séparent nettement, puisque la science, du moins en principe, ne reconnaît nulle autorité à un écrit. Mais les deux traditions d’investigation convergent sur la méthodologie : application de l’expérience empirique et de la raison. Reste que, dans notre vie quotidienne, c’est à la troisième méthode que nous faisons habituellement appel pour tester la véracité de certaines affirmations. Par exemple, nous acceptons la date de notre naissance sur la foi du témoignage oral de nos parents et du témoignage écrit d’un certificat de naissance. Même dans le domaine scientifique, nous acceptons les résultats publiés par des chercheurs dans des revues scientifiques sans reproduire nous-mêmes leurs expérimentations.
[…]
Si le bouddhisme et la science mettent tous deux l’accent sur l’empirisme et la raison, les deux systèmes diffèrent profondément sur leur acception de l’expérience empirique et emploient des formes de raisonnement différentes. Lorsque le bouddhisme parle de l’expérience empirique, c’est dans une acception large qui inclut aussi bien les états de méditation que les preuves fournies par les sens. Du fait du développement de la technologie ces deux derniers siècles, la science a pu étendre la capacité des sens à des degrés inimaginables auparavant. Les scientifiques observent donc à l’oeil nu, bien sûr, avec l’aide de puissants instruments comme les microscopes et les télescopes, d’une part des phénomènes atomiques minuscules, telles les cellules et les structures atomiques complexes, d’autre part les vastes structures du cosmos. En repoussant l’horizon des sens, la science a aussi repoussé les limites de la déduction plus loin que ne l’avait jamais atteinte le savoir humain. Maintenant, des traces laissées dans les chambres à bulles, les physiciens déduisent l’existence des constituants des atomes, même et y compris les éléments à l’intérieur du neutron, comme les quarks et les gluons.
Lorsque, enfant, je menais des expériences avec le télescope appartenant au treizième dalaï-lama, je fis un jour une vive expérience du pouvoir de déduction fondée sur l’observation empirique. Dans le folklore tibétain, nous parlons du lapin dans la Lune - je crois que les Européens y voient plutôt un homme qu’un lapin. En tout cas, une nuit de pleine lune d’automne, alors que l’astre était particulièrement clair, je décidai d’examiner le lapin à l’aide de mon télescope. À ma surprise, je vis ce qui apparaissait comme des ombres. J’étais si excité que j’insistai pour que mes deux précepteurs viennent regarder dans le télescope. Je leur dis que la présence d’ombres sur la Lune apportait la preuve qu’elle était éclairée par la lumière du Soleil de la même manière que la Terre. Ils semblaient perplexes mais convinrent que la perception des ombres sur la Lune était indubitable. Plus tard, lorsque j’ai vu des photos de cratères lunaires dans un magazine, j’ai remarqué le même effet : dans le cratère, il y avait une ombre d’un côté, mais pas de l’autre. À partir de cela, j’ai déduit qu’il devait y avoir une source de lumière projetant cette ombre, tout comme sur la Terre. J’en ai conclu que le Soleil devait forcément être la source de lumière responsable des ombres sur les cratères de la Lune. J’ai été très excité lorsque, plus tard, j’ai découvert que c’était effectivement le cas.
En toute rigueur, ce processus de raisonnement n’appartient en propre ni au bouddhisme ni à la science ; il reflète plutôt une activité fondamentale de l’esprit humain, qui s’exerce tous les jours de façon naturelle. Ainsi, pour les jeunes aspirants moines, l’introduction formelle à la déduction comme principe de logique se fait avec l’histoire de la colonne de fumée. Lorsqu’on la voit s’élever au-dessus d’un col de montagne, on en déduit la présence d’un feu. Au Tibet, il serait normal de déduire que, s’il y a un feu, il y a des habitations. On imagine aisément qu’un voyageur assoiffé après une longue journée de marche ressente le besoin de boire une tasse de thé. Il aperçoit la fumée, en déduit qu’il y a du feu et donc une habitation où il s’abritera pour la nuit. À partir de cette déduction, le voyageur va pouvoir assouvir son désir de boire du thé. À partir de l’observation d’un phénomène, directement évident pour les sens, on déduit ce qui reste caché. Cette forme de raisonnement est commune au bouddhisme et à la science.
[…]
C’est dans le rôle de la déduction que bouddhisme et science diffèrent. La science se distingue tout particulièrement dans son exercice de la raison par son recours hautement développé à un raisonnement mathématique complexe. Le bouddhisme, comme toutes les autres philosophies indiennes classiques, est demeuré historiquement très concret dans son utilisation de la logique, le raisonnement n’étant jamais détaché d’un contexte particulier. Le raisonnement mathématique de la science offre, en revanche, un degré immense d’abstraction, de sorte qu’un argument est validé ou non simplement sur la base de l’exactitude d’une équation. En un sens, la généralisation ainsi obtenue par le biais des mathématiques se situe à un niveau beaucoup plus élevé que ne le permettent les formes traditionnelles de la logique. Étant donné le succès extraordinaire des mathématiques, il n’est pas étonnant que certaines personnes pensent que les lois mathématiques sont absolues et que les mathématiques sont le véritable langage de la réalité, consubstantiel à la nature elle-même.
Une autre différence entre la science et le bouddhisme réside, selon moi, dans ce qui fait la validité d’une hypothèse. Là aussi, quand Popper a expliqué comment tracer la ligne de démarcation du champ d’une question strictement scientifique, il a marqué l’aboutissement d’une grande intuition. Il s’agit de la thèse de la réfutabilité poppérienne, selon laquelle toute théorie scientifique doit contenir en elle-même les conditions permettant de démontrer qu’elle est fausse. Par exemple, la théorie selon laquelle Dieu a créé le monde ne pourra jamais être considérée comme une théorie scientifique. Elle ne contient pas d’explication des conditions selon lesquelles on pourra prouver qu’elle est fausse. Si nous prenons ce critère au sérieux, de nombreuses questions relatives à notre existence humaine telles que l’éthique, l’esthétique et la spiritualité demeurent alors hors du champ de la science. En revanche, le domaine d’investigation, dans le bouddhisme, n’est pas limité à l’objectif. Il englobe également le monde subjectif de l’expérience ainsi que la question des valeurs. En d’autres termes, la science traite de faits empiriques mais pas de métaphysique et d’éthique, tandis que, pour le bouddhisme, l’investigation critique de ces trois domaines est essentielle.
La thèse de la réfutabilité de Popper fait écho à un grand principe méthodologique de ma propre tradition philosophique bouddhique tibétaine. Nous pourrions l’appeler le « principe du champ de la négation ». Selon ce principe, il y a une différence fondamentale entre ce qui n’est « pas trouvé » et ce dont on « a trouvé qu’il n’existe pas ». Si je cherche quelque chose et ne le trouve pas, cela ne signifie pas que la chose que je recherche n’existe pas. Ne pas voir une chose est différent de voir sa non-existence. Afin qu’il y ait coïncidence entre ne pas voir une chose et voir sa non-existence, la méthode de recherche et le phénomène recherché doivent être commensurables. Par exemple, ne pas voir un scorpion sur la page que vous êtes en train de lire est une preuve adéquate qu’il n’y a pas de scorpion sur la page. Car s’il y avait un scorpion sur la page, il serait visible à l’oeil nu. Cependant, ne pas voir d’acide dans le papier sur lequel la page est imprimée n’est pas la même chose que de voir que le papier ne contient pas d’acide, car, pour voir de l’acide dans le papier, il faudrait des outils autres que l’oeil nu. Le philosophe du XIVe siècle, Tsongkhapa, énonce de surcroît qu’il existe une distinction similaire entre ce qui est nié par la raison et ce qui n’est pas affirmé par la raison. De même, il existe une distinction entre ce qui ne résiste pas à l’analyse critique et ce qui est infirmé par cette analyse.
Ces distinctions méthodologiques semblent peut-être abstruses, mais elles ont d’importantes répercussions sur la compréhension du champ de l’analyse scientifique. Par exemple, le fait que la science n’ait pas prouvé l’existence de Dieu ne signifie pas que Dieu n’existe pas, pour ceux qui ont une tradition théiste. De même, que la science n’ait pas prouvé, sans l’ombre d’un doute, que les êtres revivent ne signifie pas que la réincarnation est impossible. En science, le fait que nous n’ayons jusqu’à présent trouvé de vie sur aucune autre planète que la nôtre ne prouve pas que la vie n’existe pas ailleurs.
Au milieu des années 1980, j’avais déjà rencontré, lors de mes multiples voyages hors de l’Inde, de nombreux scientifiques et philosophes des sciences et participé à divers entretiens avec eux, en public et en privé. […] Cependant, l’année 1987 marqua une étape importante dans mon implication vis-à-vis de la science. Cette année-là eut lieu la première conférence Mind and Life (on les connaît sous ce nom anglais, qui signifie « l’esprit et la vie », NdT) à ma résidence de Dharamsala.
La rencontre fut organisée par le neuroscientifique chilien Francisco Varela, qui enseignait à Paris, et l’homme d’affaires américain Adam Engle. Varela et Engle me firent la proposition suivante : ils réuniraient un groupe de scientifiques de diverses disciplines, favorables au dialogue, et nous nous engagerions dans une discussion privée, ouverte et informelle pendant une semaine. D’emblée, j’ai accepté l’idée. C’était une extraordinaire opportunité pour en apprendre encore plus sur la science, de découvrir les dernières recherches et les derniers progrès en la matière. Tous les participants à cette première rencontre furent si enthousiastes que le processus s’est poursuivi jusqu’à ce jour, au rythme d’une rencontre d’une semaine tous les deux ans. […]
Lors de cette première conférence Mind and Life, j’ai, pour la première fois, entendu le récit historique complet des évolutions de la méthode scientifique en Occident. Ce qui m’a particulièrement intéressé, c’est l’idée des changements de paradigme - c’est-à-dire le moment où une culture change fondamentalement de vision du monde et l’impact qu’a ce changement sur tous les aspects de l’interprétation scientifique. Un exemple classique est le passage, au début du XXe siècle, de la physique newtonienne à la relativité et à la mécanique quantique. Au départ, l’idée de changement de paradigme m’a choqué. Ma vision de la science était celle d’une quête incessante de la vérité ultime sur ce qu’est la réalité. Les nouvelles découvertes représentaient des étapes dans un processus progressif et collectif de connaissance du monde par l’humanité. Idéalement, cela consistait à atteindre une étape finale de connaissance complète et parfaite. Et, là, j’entendais dire que des éléments subjectifs étaient impliqués dans l’émergence de tout paradigme particulier et qu’il y avait de bonnes raisons de manier avec prudence l’idée d’une réalité entièrement objective à laquelle la science nous donnerait accès. Lorsque je m’entretiens avec des scientifiques et des philosophes des sciences à l’esprit ouvert, il est clair que leur compréhension de la science est profondément nuancée et qu’ils reconnaissent les limites de la connaissance scientifique. En même temps, il y a beaucoup de gens, scientifiques et non scientifiques, qui semblent penser que tous les aspects de la réalité doivent entrer dans le champ de la science et y entreront forcément. On émet souvent 1’hypothèse que, au fur et à mesure que la société progresse, la science ne cesse de révéler les erreurs de nos croyances - particulièrement les croyances religieuses - et que finalement émergera une société séculaire éclairée. C’est, entre autres, la vision des matérialistes dialectiques marxistes, comme je l’ai découvert, dans les années 1950, lors de mes rencontres avec les dirigeants de la Chine communiste ainsi qu’au cours de mes études de la pensée marxiste au Tibet. Cette façon de voir montre que la science a réfuté de nom¬breuses prétentions de la religion, telles que l’existence de Dieu, la grâce et l’âme éternelle. Et, dans ce cadre conceptuel, tout ce qui n’est pas prouvé ou affirmé par la science est d’une certaine façon soit faux, soit négligeable. De fait, il s’agit d’hypothèses philosophiques qui reflètent les préjugés métaphysiques de leurs défenseurs. Tout comme nous devons éviter le dogmatisme en science, nous devons veiller à ce que la spiritualité ne s’enferme pas dans de semblables limites.
La science traite de cet aspect de la réalité et de l’expérience humaine qui se prête à une méthode particulière d’investigation : faire une observation empirique puis la quantifier et la mesurer, enfin, s’assurer que l’expérience est répétée et vérifiée par différentes personnes. Plus d’un observateur doit dire : « Oui, j’ai vu la même chose, j’ai obtenu les mêmes résultats. » Sa légitimité est donc limitée au monde physique, comprenant le corps humain, les corps astronomiques, l’énergie mesurable et le fonctionnement des structures. Les résultats empiriques obtenus de cette manière constituent la base d’autres expérimentations et généralisations qui seront intégrées dans l’ensemble plus large de la connaissance scientifique. C’est effectivement le paradigme actuel de la science. Il est clair que ce paradigme n’englobe pas - et ne peut pas englober - tous les aspects de la réalité, en particulier la nature de l’existence humaine. Outre le monde objectif de la matière, que la science excelle à explorer, il existe un monde subjectif des sentiments, émotions, pensées ainsi que des valeurs et aspirations spirituelles nées de ces derniers. Si nous traitons ce domaine comme s’il n’avait pas de rôle constitutif dans notre compréhension de la réalité, nous perdons de vue ce qui fait la richesse de notre propre existence et notre compréhension n’est pas complète. La réalité, englobant notre propre existence, est tellement plus complexe que ce que propose le matérialisme scientifique objectif.

Pour en savoir plus

Tout d'abord deux livres qui concernent avant tout les relations entre le bouddhisme et les sciences exactes, physique et astro-physique notamment :

Sinon, il existe des ouvrages traitant des relations entre l'approche bouddhique de l'esprit et les neurosciences :

 

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