Les éditions Sully ont publié, il y a quelques semaines, un des tout premiers recueils (en traduction française) d'enseignements du maître thaï Ajahn Chah, l'un des plus célèbres représentants de la tradition des "moines de forêt".

Né en 1918, disparu en 1992, Ajahn Chah a attiré des milliers de disciples, asiatiques et occidentaux, et son rayonnement personnel a beaucoup contribué à mieux faire connaître, dans le monde entier, l'antique tradition qu'il représentait.
Son enseignement, simple et concret, plein de fraîcheur et d'anecdotes, présente les points les plus fondamentaux de la doctrine bouddhique de manière pratique et quotidienne.

Nous vous proposons ci-dessous quelques extraits de la préface du traducteur anglais, Paul Breiter, suivis de la transcription de l'un des enseignements oraux d'Ajahn Chah.

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Extraits de la préface de Paul Breiter

 

L’homme et ses méthodes

 

Ajahn Chah n’a jamais enseigné à partir de textes ou de notes ; il ne savait même pas à l’avance de quoi il allait parler. Il était toujours spontané, même s’il lui arriva de n’avoir rien à dire à certaines personnes ! Il faisait alors remarquer que c’était probablement parce qu’il n’y avait aucun lien karmique entre eux ou que ces personnes n’avaient pas le kamma voulu pour entendre un enseignement spirituel. Quand on lui demandait comment ses enseignements lui venaient à l’esprit, il citait le Bouddha. Un jour, le Bouddha fit un discours à ses disciples puis il leur demanda s’ils avaient déjà entendu ces paroles. Ils répondirent que non, qu’ils les entendaient pour la première fois. Le Bouddha déclara alors que lui aussi les entendait pour la première fois.
Ajahn Chah n’encourageait pas trop l’étude et la lecture, en particulier pour ses disciples occidentaux.
« Vous avez étudié toute votre vie et où cela vous a-t-il mené ? » leur demandait-il. Et il disait souvent :
« Si vous avez une licence, vous ressentez la souffrance d’un licencié. Si vous avez une maîtrise, vous devenez maître de souffrance. Si vous avez un docto­rat, vous êtes docteur es souffrance. » Il arrivait à distiller les instructions les plus essentielles avec gaieté et humour mais il disait parfois des choses que les gens ne voulaient pas entendre.

Tout apparait tout disparait 03En 1979, quand il vint aux États-Unis, il donna un soir, à la Insight Society du Massachusetts, des enseignements principalement axés sur sîla, la conduite morale. À la fin, il s’excusa d’avoir si vertement tancé les méditants et dit : « Je ne voulais pas dire ces choses mais le Bouddha me l’a demandé ! » Toute la tension dans la pièce retomba et la salle de méditation fut remplie de rires.

Disciples et visiteurs attendaient d’Ajahn Chah tout et n’importe quoi, du sublime au bizarre. Certains voulaient discuter avec lui des points subtils des Écritures, d’autres voulaient argumenter, et d’autres encore déver­saient à ses pieds leurs peines et leurs soucis, grands et petits. Il s’arrangeait presque toujours pour éviter les débats et ramener la conversation au point important, de telle manière que celui qui avait posé la question se retrouvait face à lui-même, encouragé à une réflexion approfondie.
Un Thaïlandais qui avait été moine pendant de nombreuses années à Wat Pah Pong, le principal monastère d’Ajahn Chah en Thaïlande, finit par se défroquer et devenir un bandit alcoolique - pourtant il continuait à venir voir son ancien maître.

Un jour, il vint lui annoncer qu’il allait s’engager dans l’armée pour tuer des communistes, arguant du fait que, les communistes étant une menace pour la société thaïlandaise, il ne serait pas vraiment mal de les tuer. Au lieu de le sermonner, Ajahn Chah dit simplement : « Eh bien, s’il est acceptable que tu tues des communistes, je suppose qu’il est acceptable que quelqu’un te tue. »
[...]

 

La tradition de la forêt et ses maîtres

Parfois il parlait des débuts de Wat Pah Pong, son monastère au nord-est de la Thaïlande. C’était dans les années 1950, époque où les cam­pagnes, et cette région en particulier, étaient pauvres et sous-développées. Les conditions de vie au monastère étaient extrêmement dures : il fallait patauger dans l’eau pour arriver aux villages où on leur offrait à manger ; la nourriture était maigre ; le paludisme était toujours menaçant et il n’y avait rien pour le soigner ; on manquait des produits les plus élémentaires. Une année, un couple dont le neveu vivait au monastère avec Ajahn Chah décida de prendre les vœux et de le rejoindre à Wat Pah Pong. Mais la vie y était trop dure et, très vite, ils se défroquèrent et repartirent à la ville. Ajahn Chah raconta cette histoire ainsi :

Faire l’expérience des conditions de vie du monastère et du quotidien des moines de la forêt les épuisa vraiment. Après s’être défroqués, quand ils parlaient de la façon dont nous vivions ici, la femme se met­tait à pleurer. Ceux qui n’avaient jamais vécu ainsi n’en avaient aucune idée. Manger une seule fois par jour - était-ce un progrès ou une régression ? Je ne sais pas comment le qualifier.

Personne ne venait nous voir. Les chiens eux-mêmes ne supportaient pas de rester là. Les koutis [cabanes des moines] étaient éloignés les uns des autres et loin aussi du lieu de rassemblement. Quand tout était fait, à la fin de la journée, nous nous séparions et partions dans la forêt pour aller pratiquer dans notre kouti. À ce moment-là, les chiens avaient peur de ne plus avoir d’endroit sûr où se poser. Ils suivaient un moine dans la forêt ; mais quand celui-ci entrait dans son kouti, les chiens se retrouvaient seuls et effrayés. Ils essayaient de suivre un autre moine mais celui-là disparaissait aussi dans son kouti.
Parfois je me disais : « Les chiens eux-mêmes ne supportent pas cette vie et pourtant nous la vivons ! » C’était assez extrême. Cela me rendait aussi un peu mélancolique.
Mais cette vie ascétique avait une raison d’être. Quand on n’est pas encore avancé dans la pratique, si le corps est trop à son aise, l’esprit est incontrôlable. Quand un incendie se déclenche et que le vent souffle, le vent étend l’incendie et la maison est réduite en cendres.

 

[...] Dans les monastères d’Ajahn Chah, on insistait pour que toutes les activités soient considérées comme une méditation. Il disait aussi que le Dhamma se trouvait partout et, notamment, que tout ce que faisait un maître de méditation était de transmettre un enseignement. À sa manière spontanée, Ajahn Chah brossait parfois de rapides portraits de ces maîtres dans ses discours.

Comprenez bien que tout, dans notre mode de vie, est axé sur l’entraî­nement et l’éveil de l’esprit. Quoi que fasse l’Ajahn, toutes ses actions et ses paroles - qu’elles paraissent aimables ou dures - vont dans ce sens. Tout est enseignement du Dhamma. Les gens aujourd’hui ne comprennent pas cela. Quand on dit que l’Ajahn va donner un ensei­gnement, ils s’attendent à ce qu’il s’assoie sur son siège et parle. Voilà ce que signifie pour eux « enseigner le Dhamma ». Ensuite, si l’Ajahn fait effectivement un discours, dès la fin de l’hommage au Bouddha qui précède, ils s’endorment !
Autrefois j’ai étudié auprès d’Ajahn Kinnaree. Il arrivait souvent que je ne le comprenne pas. À chaque fois que quelqu’un faisait quelque chose qui n’était pas juste, il criait : « Hé ! Tu vas en enfer ! » Quand nous mangions, il disait : « Toi, là-bas, tu viens de tomber en enfer ! » Je croyais qu’il était obsédé ; je ne savais pas pourquoi il parlait sans cesse de l’enfer. Quoi que nous fassions, il disait toujours que nous tombions en enfer. Pourtant, à force d’entendre ces mots, j’ai essayé de méditer sur leur sens. Que signifiait toute cette histoire d’enfer ? « Tu viens de tomber en enfer ! », « Attention ! Tu vas tomber en enfer ! » Finalement je suis allé vers lui et je lui ai posé la question.
« Oh ! Cela signifie que vous êtes en route pour l’enfer ; vous créez la cause qui va engendrer dukkha. Ne créez pas de causes de dukkha ! C’est là qu’est l’enfer ! C’est là que vous tomberez. »
En entendant ces mots, j’ai finalement compris : c’est simplement duk­kha qui est l’enfer. Je n’avais pas même été capable de discerner tout seul une chose aussi évidente ! La souffrance est l’enfer. Une personne qui fait du mal et qui crée ainsi de la souffrance pour elle-même est un être de l’enfer. En y réfléchissant, j’ai fini par comprendre qu’effective­ment c’est bien là qu’est l’enfer. L’enseignement du Dhamma est proche et immédiat comme cela.

Quant à Ajahn Tongrat, disciple de la première heure d’Ajahn Sao et d’Ajahn Mun, il était connu comme un maître peu conventionnel dont les paroles et la conduite paraissaient souvent excentriques. Ajahn Chah le considérait comme l’exemple même de quelqu’un qui allait au cœur des choses. D’ailleurs, le mode de vie adopté dans les monastères d’Ajahn Chah était en grande partie calqué sur celui d’Ajahn Tongrat.

Ajahn Tongrat n’enseignait pas beaucoup ; il nous répétait toujours : « Faites attention ! Faites très attention ! » Voilà comment il enseignait. « Si vous ne faites pas très attention, vous allez en prendre plein la figure ! » Et c’est vraiment comme cela que les choses se passent. Même s’il ne le disait pas, c’est tout de même comme cela : si on ne fait pas attention, on en prend plein la figure.
En général, nous ne sommes pas conscients de la façon dont les maî­tres enseignent le Dhamma. Un jour, Ajahn Tongrat marchait avec un groupe de moines quand il vit un buffle mâle qui paissait au bord de la route. Il dit : « Tiens ! Cette femelle buffle paît au bord de la route ! » Les moines s’inquiétèrent ; ils se demandèrent si Ajahn Tongrat avait pris un mâle pour une femelle. Ils marchèrent encore un peu et puis il dit : « Hé ! Avez-vous remarqué cette femelle buffle qui paissait ? » Les moines crurent probablement que leur maître perdait la tête. Ils ne comprirent pas qu’il leur enseignait quelque chose. En entendant ces mots, quelqu’un doté de sagesse aurait compris : les buffles ne sont ni « mâles » ni « femelles » ; ces termes ne sont qu’une convention ; mais après les avoir utilisés ainsi, nous nous y attachons de toutes nos forces comme s’il s’agissait d’une vérité absolue.
Nous avons tous tendance à fonctionner ainsi. Par exemple, quand nous voyons une femme, notre esprit change d’une certaine manière et quand nous voyons un homme, notre esprit réagit différemment. Si nous voyons une personne âgée, il changera autrement et si nous voyons une personne jeune, il changera encore autrement. Cela n’est que la voie de la souffrance. Nous sommes attirés par les jeunes et rebu­tés par les vieux, attirés par les gens beaux et indifférents aux gens ordi­naires ou sans beauté. C’est ainsi que notre esprit crée continuellement du kamma et dukkha.
Donc, simplement en marchant, le maître nous donne un enseigne­ment. Quand il parle de ceci ou de cela, il nous donne un enseigne­ment. Nous devons le comprendre et être capables de reconnaître le Dhamma. Le Dhamma est partout.

 


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Ce n'est pas permanent, ce n'est pas sûr !

 

Nous mettons l’accent sur le Dhamma d’ici et maintenant. C’est à cet instant même, dans le présent, que nous pouvons lâcher les choses et résoudre nos difficultés, parce que l’instant présent contient à la fois la cause et le résultat. Le présent est à la fois le fruit du passé et la cause du futur. Le fait que nous soyons assis ici en ce moment est le résultat de ce que nous avons fait dans le passé et ce que nous faisons maintenant deviendra la cause de ce que nous vivrons dans le futur. C’est pourquoi le Bouddha a enseigné qu’il fallait se défaire du passé et se défaire de l’avenir. « Se défaire » ne signifie pas qu’il faille rejeter quoi que ce soit mais que nous demeurions dans ce point unique du présent où le passé et le futur convergent. Donc le mot « se défaire » n’est qu’une façon de par­ler. Ce que nous voulons, c’est être conscients du présent, ce point où causes et conséquences convergent. Nous regardons le présent et nous voyons un incessant mouvement d’apparition et de disparition, d’appari­tion et de disparition.

J’ai beau toujours répéter la même chose, les gens ne le prennent pas à cœur. Les phénomènes apparaissent dans l’instant présent et ils ne sont pas stables, on ne peut pas compter sur eux. Mais les gens n’approfon­dissent pas beaucoup ce point. Quand quelque chose se produit, je leur dis : « Faites attention ! Ce n’est pas permanent ! » ou bien : « C’est incer­tain. » C’est très simple ; tout ce qui arrive est impermanent et incertain. Mais, quand on ne voit pas cela ou quand on ne le comprend pas, on tombe dans la confusion et la détresse. Dans ce qui est impermanent, on voit de la permanence ; dans ce qui est incertain, on voit de la certitude. J’explique tout cela mais les gens ne l’entendent pas et ils finissent par pas­ser leur vie à courir indéfiniment à la poursuite des choses.
En vérité, si vous trouvez la paix, vous vous situerez dans cet espace dont je vous parle : le présent. Quoi qu’il arrive, qu’il s’agisse d’une forme ou d’une autre de bonheur ou de souffrance, vous verrez que c’est incer­tain. Cette incertitude est elle-même le Bouddha parce que l’incertitude est le Dhamma et que le Dhamma est le Bouddha. Mais la plupart des gens pensent que le Bouddha et le Dhamma sont extérieurs à eux. Quand l’esprit commence à réaliser que toute chose, sans exception, est par nature incertaine, les problèmes de saisie et d’attachement commencent à diminuer et à s’effriter. Si l’on comprend cela, l’esprit commence à lâcher prise, à poser les choses, à ne pas s’y agripper, et l’attachement peut prendre fin. Quand il prend fin, on atteint nécessai­rement le Dhamma - il n’y a plus rien au-delà.
Quand nous méditons, voilà ce que nous souhaitons réaliser. Nous voulons voir l’impermanence, l’insatisfaction et le non-soi, et cela commence par la claire vision de l’incertitude. Quand nous la voyons par­faitement, nous pouvons lâcher prise. Quand nous ressentons du bon­heur, nous voyons que c’est incertain ; quand nous ressentons de la souffrance, nous voyons que c’est incertain ; nous pensons qu’il serait bien d’aller quelque part puis nous réalisons que c’est incertain ; nous croyons qu’il serait bien de rester où nous sommes puis nous réalisons que c’est incertain aussi. Nous voyons que tout, absolument tout est incertain et, à partir de là, nous vivrons en paix. Nous pourrons rester où nous sommes et être bien ou partir ailleurs et être également bien.
Les doutes disparaîtront de cette manière, grâce à cette forme de pra­tique dans l’instant présent. Il est inutile de s’inquiéter du passé parce qu’il est révolu. Quoi qu’il ait pu se produire dans le passé, c’est apparu et dis­paru dans le passé, et maintenant c’est fini. Nous pouvons également abandonner nos soucis par rapport à l’avenir parce que, quoi qu’il arrive dans le futur, cela apparaîtra et puis cessera dans le futur.
Quand les disciples laïcs viennent faire des offrandes au monastère, ils récitent : « Puissions-nous un jour enfin atteindre le nibbâna. » Quand et où cela se produira, ils ne le savent pas, c’est tellement lointain. Ils ne disent pas : « Ici et maintenant » mais « un jour », dans le futur. C’est tou­jours quelque part, un jour « là-bas » - pas « ici », seulement « là-bas ». Dans la prochaine vie, ce sera aussi « là-bas » et dans les suivantes, ce sera encore « là-bas ». Ainsi, ils n’y arrivent jamais parce que c’est toujours « là-bas ».
C’est comme si des gens invitaient un vieux moine à recevoir une offrande de nourriture en lui disant : « Vénérable, nous vous prions de venir quêter votre nourriture dans le village qui est là-bas », et puis, quand il aurait marché jusqu’à ce lointain village, on lui dirait : « Vénérable, nous vous prions d’aller quêter votre nourriture dans le village là-bas. » Et il continuerait à marcher mais, partout où il arriverait, on lui dirait : « Nous vous prions de quêter votre nourriture dans le village là-bas. » Le pauvre vieillard ne verrait jamais la moindre chose à manger. Il continuerait à marcher « là-bas » et cela ne mènerait à rien du tout.
Nous avons tous cette tendance. Nous ne disons jamais « ici et main­tenant ». Pourquoi ? Qu’est-ce qui cloche avec l’instant présent ? C’est parce que nous sommes encore engagés dans les choses du monde, elles nous procurent encore du plaisir et nous n’osons pas les abandonner. Nous préférons remettre cela à « un jour, dans le futur ». Tout comme celui qui incite le vieux moine à continuer à avancer en lui promettant l’offrande d’un repas : « Je vous en prie, Vénérable, allez là-bas faire votre quête. » Alors il avance à la recherche de ce lieu « là-bas » où il pourra trou­ver de la nourriture pour se sustenter mais ce n’est jamais « ici » et il ne reçoit jamais rien à manger.

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Parlons donc d’ici et maintenant, parlons au présent. Nous pouvons vraiment pratiquer au présent, il n’est pas nécessaire d’attendre un jour futur. Au lieu de nous angoisser à tout propos, nous regardons le Dhamma d’ici et maintenant et nous voyons incertitude et impermanence. Alors, l’esprit du Bouddha, Celui qui sait, émerge. Il se développe grâce à cette prise de conscience que tout est impermanent.
C’est là que la connaissance s’acquiert. Le samâdhi, la concentration de l’esprit, peut se développer ici. Il y a la paix qui naît de la vie dans la forêt, ce calme qui apparaît quand les yeux ne voient pas et que les oreilles n’entendent pas. L’esprit est pacifié par l’absence d’objets vus ou enten­dus mais il n’est pas libre des kilesa. Les kilesa sont toujours là, même s’ils ne se montrent pas. C’est comme de l’eau boueuse : quand l’eau est calme, elle est claire mais quand quelque chose l’agite, la saleté remonte et la trou­ble. C’est ce qui se produit quand vous pratiquez. Si vous voyez des formes ou entendez des sons, si vous vivez quelque chose de désagréable ou si vous avez des sensations déplaisantes, vous êtes perturbé mais si rien ne se pro­duit, vous vous sentez bien, tout à fait à votre aise avec les kilesa. Imaginons que vous vouliez un appareil photo. Si vous en obtenez un, vous êtes heureux. Jusqu’à ce que vous l’ayez, vous n’êtes pas satisfait et finalement, quand vous arrivez à l’obtenir, vous éprouvez un certain plaisir. Ensuite, si on vous le vole, vous vous fâchez et votre bonheur disparaît. Donc, avant de pouvoir obtenir ce que vous voulez, il y a insatisfaction; quand vous l’obtenez, il y a satisfaction; et quand vous le perdez, il y a à nouveau insatisfaction.
Le samâdhi qui est lié à un environnement paisible, comme celui de notre monastère dans la forêt, est ainsi. Il y a le bonheur d’atteindre un état de tranquillité mais ce bonheur a des limites parce que l’esprit est sous l’influence du désir d’une chose qui est, par nature, changeante. Au bout d’un certain temps, la paix disparaîtra et l’insatisfaction prendra sa place - exactement comme lorsqu’un voleur s’empare de votre appareil photo. Telle est la paix du samâdhi, la paix temporaire de la méditation de la tran­quillité.
Il faut que nous examinions cela un peu plus en profondeur. Tout ce que nous avons deviendra source de souffrance quand nous le perdrons, si nous ne sommes pas conscients de son impermanence. Si nous en sommes conscients, nous pouvons faire usage des choses sans qu’elles soient un fardeau.
Supposons que vous vouliez vous établir professionnellement et que vous ayez besoin d’un prêt bancaire. Si vous n’arrivez pas à l’obtenir mal­gré tous vos efforts, vous allez en souffrir. Si, finalement, la banque accepte de vous prêter de l’argent, vous allez vous en réjouir. Votre joie ne va pas durer longtemps quand les intérêts commenceront à s’élever. Au bout d’un moment, c’est cela qui va vous préoccuper: quoi que vous fassiez, même quand vous serez tranquillement assis dans un fauteuil, vous sau­rez que la banque est en train de vous faire payer les intérêts - et cela va créer un stress. Avant, la souffrance venait de ne pas pouvoir trouver un prêt ; quand vous l’avez obtenu, on aurait pu croire que tout serait réglé et que tout irait bien ; mais ensuite vous avez dû commencer à penser aux intérêts sur le prêt, et la souffrance est réapparue.

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Le Bouddha nous a appris à regarder le présent et à y voir l’imperma­nence du corps et de l’esprit, de tous les phénomènes, tandis qu’ils appa­raissent et qu’ils cessent, sans en saisir aucun. Si nous y parvenons, nous ressentirons la paix. Cette paix est le fruit du lâcher-prise ; le lâcher-prise est le fruit de la sagesse, cette sagesse qui naît de la contemplation de l’impermanence, de la souffrance et du non-soi - la vérité de l’expérience - et du fait d’être témoin de cette vérité dans son propre esprit.
En pratiquant ainsi, nous voyons clairement à l’intérieur de notre pro­pre esprit, à tout moment. Les phénomènes se manifestent et puis cessent. Ensuite il y a une nouvelle manifestation et cette manifestation est suivie d’une cessation. Si nous développons de l’attachement pour ce qui se manifeste, la souffrance surgira à ce point précis. S’il n’y a pas de « saisie », la souffrance ne se manifestera pas. Nous voyons cela dans notre propre esprit.
Quand nous méditons ainsi, nous pouvons acquérir une véritable cer­titude à propos du Dhamma et atteindre le point où tout ce que nous avons à faire est de regarder notre esprit à l’instant présent. Nous lâchons le passé et le futur, et nous regardons dans le présent. Là, nous voyons se manifester les trois caractéristiques de l’existence (l’impermanence, la souffrance et le non-soi) continuellement et en tout. En marchant il y a l’impermanence ; debout il y a l’impermanence ; assis il y a l’imperma­nence - telle est la vérité inhérente aux choses. Si vous recherchez la cer­titude et la permanence, vous ne les trouverez que dans le fait que les choses sont ainsi et qu’elles ne peuvent pas évoluer autrement. Quand votre vision des choses aura mûri ainsi, vous serez en paix.
Vous croyez peut-être que c’est en allant méditer tout seul en haut d’une montagne que vous trouverez la paix. Vous serez peut-être en paix pendant quelque temps, mais bientôt l’austérité de cette vie de solitude vous rattrapera et vous commencerez à ressentir la faim et l’épuisement physique. Alors vous descendrez de la montagne et vous irez en ville où vous trouverez toutes sortes de bonnes choses à manger et tout le confort. Mais ensuite vous vous direz que tout cela perturbe votre pratique... et que vous feriez bien de vous éloigner du monde !
En vérité, celui qui souffre de la vie solitaire manque de sagesse et celui qui souffre de vivre avec les autres manque tout autant de sagesse. C’est comme la fiente de poulet : si vous en avez dans la poche alors que vous êtes seul, elle sent mauvais ; si vous l’avez encore quand vous êtes avec des gens, elle sent mauvais aussi. Vous transportez l’odeur avec vous.
Si on est malin, on peut vivre au milieu de beaucoup de monde et sen­tir que, même si l’environnement n’est pas paisible - ce qui sera vrai jusqu’à un certain point -, il peut être la cause d’un gain de sagesse. J’ai moi-même développé une certaine sagesse en ayant beaucoup de disci­ples. Des visiteurs laïcs venaient nombreux, beaucoup de moines deman­daient à étudier ici et chacun avait ses propres idées et son propre tempérament. Je suis passé par toutes sortes d’expériences et j’ai dû me hisser à la hauteur des situations. Ma capacité de patience et d’endurance s’est renforcée. Tant que je pouvais le supporter, j’étais en mesure de poursuivre ma pratique - c’est alors que toute mon expérience a pris son sens. Mais si on ne comprend pas les choses correctement, on ne peut rien résoudre. On sera content de vivre seul... jusqu’à ce que l’on s’en lasse et que l’on pense qu’il serait mieux de vivre en groupe. Avoir une nour­riture simple pourra paraître bien... jusqu’à ce que l’on se dise qu’une nourriture plus riche serait bien agréable. Les choses tournent en rond comme cela quand on n’est pas capable de voir clair dans l’esprit une bonne fois pour toutes.
En voyant que l’on ne peut compter sur rien, on considérera toutes les situations - de pénurie et d’abondance - comme étant incertaines et on ne s’y attachera pas. On accordera toute son attention au moment pré­sent, où que le corps se trouve. À partir de là, toutes les situations seront acceptables : rester sera bien, partir sera bien, parce que notre pratique se concentre sur l’observation de ce qui est réellement.
Les gens disent : « Ajahn Chah ne parle que de l’incertitude. » Ils en ont assez d’entendre parler de cela, alors ils m’évitent. « Nous sommes allés écouter l’enseignement d’Ajahn Chah mais tout ce qu’il a dit c’est : "rien n’est sûr" ». Ils ne supportent pas d’entendre toujours la même chose, alors ils partent. Je suppose qu’ils vont chercher un endroit où les choses seront sûres ! Mais ils reviendront.

 


Pour en savoir plus ...

On trouvera d'autres enseignements d'Ajahn Chah, en français, sur les sites suivants :

  • Forest Sangha.org (partie en français) : site officiel de la communauté occidentale des moines de forêt de Thaïlande, fondée par Ajahn Chah
  • Le Refuge : centre bouddhique d'étude et de méditation, basé près d'Aix-en-Provence, affilié au Forest Sangha (consulter la rubrique "Textes")
  • ABT "Vivekârâma" : association bouddhique theravâda faisant référence aux enseignements de la tradition de forêt et à Ajahn Chah

 

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Tout apparait tout disparait 07Tout apparaît, tout disparaît : Enseignements sur l'impermanence et la fin de la souffranceAjahn Chah, Sully, 2014

 

 

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